Poème 'Amour' de Victor HUGO dans 'Les Contemplations'

Amour

Victor HUGO
Recueil : "Les Contemplations"

Amour ! — Loi, — dit Jésus. — Mystère, — dit Platon.
Sait-on quel fil nous lie au firmament ? Sait-on
Ce que les mains de Dieu dans l’immensité sèment ?
Est-on maître d’aimer ? pourquoi deux êtres s’aiment,
Demande à l’eau qui court, demande à l’air qui fuit,
Au moucheron qui vole à la flamme la nuit,
Au rayon d’or qui veut baiser la grappe mûre !
Demande à ce qui chante, appelle, attend, murmure !
Demande aux nids profonds qu’avril met en émoi
Le cœur éperdu crie : — Est-ce que je sais, moi ?
Cette femme a passé : je suis fou. C’est l’histoire.
Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle était noire ;
En plein midi, joyeuse, une fleur au corset,
Illumination du jour, elle passait ;
Elle allait, la charmante, et riait, la superbe ;
Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l’herbe ;
Un oiseau bleu volait dans l’air, et me parla ;
Et comment voulez-vous que j’échappe à cela ?
Est-ce que je sais, moi ? c’était au temps des roses ;
Les arbres se disaient tout bas de douces choses ;
Les ruisseaux l’ont voulu, les fleurs l’ont comploté.
J’aime ! — Ô Bodin, Vouglans, Delancre ! prévôté,
Bailliage, châtelet, grand’chambre, saint-office,
Demandez le secret de ce doux maléfice
Aux vents, au frais printemps chassant l’hiver hagard,
Au philtre qu’un regard boit dans l’autre regard,
Au sourire qui rêve, à la voix qui caresse,
À ce magicien, à cette charmeresse !

Demandez aux sentiers traîtres qui, dans les bois,
Vous font recommencer les mêmes pas cent fois,
À la branche de mai, cette Armide qui guette,
Et fait tourner sur nous en cercle sa baguette !
Demandez à la vie, à la nature, aux cieux,
Au vague enchantement des champs mystérieux !
Exorcisez le pré tentateur, l’antre, l’orme !
Faite, Cujas au poing, un bon procès en forme
Aux sources dont le cœur écoute les sanglots,
Au soupir éternel des forêts et des flots.
Dressez procès-verbal contre les pâquerettes
Qui laissent les bourdons froisser leurs collerettes ;
Instrumentez ; tonnez. Prouvez que deux amants
Livraient leur âme aux fleurs, aux bois, aux lacs dormants,
Et qu’ils ont fait un pacte avec la lune sombre,
Avec l’illusion, l’espérance aux yeux d’ombre,
Et l’extase chantant des hymnes inconnus,
Et qu’ils allaient tous deux, dès que brillait Vénus,
Sur l’herbe que la brise agite par bouffées,
Danser au bleu sabbat de ces nocturnes fées,
Éperdus, possédés d’un adorable ennui,
Elle n’étant plus elle et lui n’étant plus lui !
Quoi ! nous sommes encore aux temps où la Tournelle,
Déclarant la magie impie et criminelle,
Lui dressait un bûcher par arrêt de la cour,
Et le dernier sorcier qu’on brûle, c’est l’Amour !

Juillet 1843.

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Commentaires

  1. Un moine résidant loin de son monastère
    N'avait trouvé pour lui le moindre logement.
    Une servante, alors, l'avait obligeamment
    Abrité dans son lit, étant célibataire.
    *
    Le supérieur a dit : « Est-ce réglementaire ? »
    Le moine a répondu : « Toujours, soigneusement,
    Nous installons le chien entre nous deux dormant. »
    *
    -- « En cas de tentation, le rempart est précaire ! »
    *
    -- « Contre la tentation, voici notre parade.
    Si le désir me prend, je pars en promenade ;
    Et si c'est elle que Satan vient malmener,
    Celle qui se promène est alors la servante. »
    *
    -- « Oui, mais si le désir tous les deux vous tourmente ? »
    *
    -- « Dans ce cas, c'est le chien qui va se promener. »

  2. Mains de druide
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    Le barde a ses secrets, le druide a ses plaisirs,
    Aucun des deux ne craint les tâches rigoureuses.
    La vestale, prenant des poses langoureuses,
    Leur procure à tous deux l’angoisse du désir.

    Si c’est sa compagnie qu’il leur plaît de choisir,
    Ils voudront lui offrir des robes vaporeuses ;
    Druide et barde, champions des luttes amoureuses,
    Bien équitablement partagent leurs loisirs.

    Eux qui sont les gardiens des mystères ultimes,
    Rassurante est leur vie, car chacun les estime ;
    De ce peuple gaulois, telle est l’antique foi.

    Le druide, de ses mains portant la noble coupe,
    Verse la force à ceux de la vaillante troupe ;
    Le barde psalmodie les versets de la loi.

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