Le Navire
Nous avancions, tranquillement, sous les étoiles ;
La lune oblique errait autour du vaisseau clair,
Et l’étagement blanc des vergues et des voiles
Projetait sa grande ombre au large sur la mer.La froide pureté de la nuit embrasée
Scintillait dans l’espace et frissonnait sur l’eau ;
On voyait circuler la grande Ourse et Persée
Comme en des cirques d’ombre éclatante, là-haut.Dans le mât d’artimon et le mât de misaine,
De l’arrière à l’avant où se dardaient les feux,
Des ordres, nets et continus comme des chaînes,
Se transmettaient soudain et se nouaient entre eux.Chaque geste servait à quelque autre plus large
Et lui vouait l’instant de son utile ardeur,
Et La vague portant la carène et sa charge
Leur donnait pour support sa lucide splendeur.La belle immensité exaltait la gabarre,
Dont l’étrave marquait les flots d’un long chemin.
L’homme qui maintenait à contrevent la barre
Sentait vibrer tout le navire entre ses mains.Il tanguait sur l’effroi, la mort et les abîmes,
D’accord avec chaque astre et chaque volonté,
Et, maîtrisant ainsi les forces unanimes,
Semblait dompter et s’asservir l’éternité.
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Émile VERHAEREN
Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
- J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
- Les Meules qui Brûlent
- Les Vêpres
- Les Saints, les Morts, les Arbres et le Vent
- S'il était vrai
- Sois-nous propice et consolante encor...
- La glycine est fanée et morte est...
- Lorsque ta main confie, un soir...
- Si d'autres fleurs décorent la maison
- Que nous sommes encor heureux et fiers de...
Nef grandiose
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Nous étions vingt marins sur la nef de fierté,
Bravant le calme plat par temps de canicule ;
Le Seigneur Cachalot nous trouva ridicules,
Ce qui, je le confesse, était bien mérité.
Nous étions vingt rêveurs épris d’éternité,
Emportés par Chronos qui jamais ne recule ;
Et certes point de ceux qui leur route calculent,
Mais errant au hasard des lieux inhabités.
Face à l’adversité, nous restions impassibles,
Mais notre coeur, pourtant, n’était pas insensible,
Qui de cet Univers admirait la grandeur.
Or, je ne sais pas quand nous reviendrons à terre :
Comment abandonner cette nef de splendeur ?
Se perdre sur les eaux, rien n’est plus salutaire.