Poème 'Le Désir' de Anatole FRANCE dans 'Les Poèmes dorés'

Le Désir

Anatole FRANCE
Recueil : "Les Poèmes dorés"

Je sais la vanité de tout désir profane.
À peine gardons-nous de tes amours défunts,
Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se fane
Y laisse d’âme et de parfums.

Ils n’ont, les plus beaux bras, que des chaînes d’argile,
Indolentes autour du col le plus aimé ;
Avant d’être rompu leur doux cercle fragile
Ne s’était pas même fermé.

Mélancolique nuit des chevelures sombres,
À quoi bon s’attarder dans ton enivrement,
Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes ombres
Se plonger éternellement ?

Narines qui gonflez vos ailes de colombe.
Avec les longs dédains d’une belle fierté,
Pour la dernière fois, à l’odeur de la tombe,
Vous aurez déjà palpité.

Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses sanglantes,
Vous épanouissant lorsque nous vous baisons,
Quelques feux de cristal en quelques nuits brûlantes
Sèchent vos brèves floraisons.

Où tend le vain effort de deux bouches unies ?
Le plus long des baisers trompe notre dessein ;
Et comment appuyer nos langueurs infinies
Sur la fragilité d’un sein ?

II

Mais la vague beauté des regards, d’où vient-elle,
Pour nous mettre en passant tant d’espérance au front ?
Et pourquoi rêvons-nous de lumière immortelle
Devant deux yeux qui s’éteindront?

Femme, qui vous donna cette clarté sacrée
Dont vous avez béni la ferveur de mes yeux?
Et d’où vient qu’en suivant votre trace adorée
Je sens un dieu mystérieux?

III

Oh! montrez un moment au monde
Votre fragilité féconde,
Et semez la vie à vos pieds !
Puis passez, formes éphémères;
Femmes, puisque vous êtes mères,
C’est qu’il convient que vous mouriez.

Votre divinité ne dure,
Douces forces de la Nature,
Que ce qu’il faut pour son dessein.
La race impérissable et belle,
Voilà cette chose immortelle
Que l’on rêve sur votre sein !

C’est par vous que l’heureuse vie
Tour à tour en la chair ravie
S’allume, et ne s’éteindra pas.
En vous la vie universelle
Éclate, et tout homme chancelle,
Ivre de beauté, sur vos pas.

Vivez, mourez, pleines de grâce ;
Les hommes et les dieux, tout passe,
Mais la vie existe à jamais.
Et toi, forme, parfum, lumière,
Qui fleuris ma vertu première,
Ah ! je sais pourquoi je t’aimais !

Juin 1869.

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Commentaires

  1. Au jardin des impermanences
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    Ne confonds pas ces fleurs avec des immortelles,
    Bref sera leur séjour au jardin clairsemé ;
    À cette règle stricte, aucune n’est rebelle,
    Nulle ne veut garder ce qu’elles ont aimé.

    N’ayant point jalousé le vol des hirondelles,
    Elles les voient partir dans l’automne enflammé ;
    De retour au printemps, ces compagnes fidèles
    Par d’autres fleurs verront le jardin transformé.

    Or, ces oiseaux non plus ne craignent pas la mort,
    Délicate est leur âme, éphémère est leur corps
    Dont jamais un tombeau n’entretient la mémoire.

    J’aurai le souvenir, aux derniers de mes jours,
    D’une fleur, d’un poème ou bien de mes amours,
    Pour que sereine soit la fin de cette histoire.

  2. La fleur et le rhapsode
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    Nulle plante n’est immortelle,
    Mais de nouveaux grains sont semés ;
    Un poète, me trouvant belle,
    Sur ma courte vie a rimé.

    Reverrai-je les hirondelles ?
    Cet hiver est bien entamé ;
    Si je ne leur suis pas fidèle,
    Cesseront-elles de m’aimer ?

    Calme est l’approche de la la mort,
    Elle ne peut troubler mon corps ;
    Elle effacera ma mémoire.

    En partant, je bénis le jour
    Où vint ce brave troubadour ;
    Ainsi, vous lisez mon histoire.

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