Poème 'Le papillon malade' de Marceline DESBORDES-VALMORE dans 'Mélanges'

Le papillon malade

Marceline DESBORDES-VALMORE
Recueil : "Mélanges"

Apologue

Las des fleurs, épuisé de ses longues amours,
Un papillon dans sa vieillesse
(Il avait du printemps goûté les plus beaux jours)
Voyait d’un oeil chagrin la tendre hardiesse
Des amants nouveau-nés, dont le rapide essor
Effleurait les boutons qu’humectait la rosée.
Soulevant un matin le débile ressort
De son aile à demi-brisée :

 » Tout a changé, dit-il, tout se fane. Autrefois
L’univers n’avait point cet aspect qui m’afflige.
Oui, la nature se néglige ;
Aussi pour la chanter l’oiseau n’a plus de voix.
Les papillons passés avaient bien plus de charmes !
Toutes les fleurs tombaient sous nos brûlantes armes !
Touchés par le soleil, nos légers vêtements
Semblaient brodés de diamants !
Je ne vois plus rien sur la terre
Qui ressemble à mon beau matin !
J’ai froid. Tout, jusqu’aux fleurs, prend une teinte austère,
Et je n’ai plus de goût aux restes du festin !
Ce gazon si charmant, ce duvet des prairies,
Où mon vol fatigué descendait vers le soir,
Où Chloé, qui n’est plus, vint chanter et s’asseoir,
N’offre plus qu’un vert pâle et des couleurs flétries !
L’air me soutient à peine à travers les brouillards
Qui voilent le soleil de mes longues journées ;
Mes heures, sans amour, se changent en années :
Hélas ! Que je plains les vieillards !

 » Je voudrais, cependant, que mon expérience
Servît à tous ces fils de l’air.
Sous des bosquets flétris j’ai puisé ma science,
J’ai défini la vie, enfants : c’est un éclair !
Frêles triomphateurs, vos ailes intrépides
S’arrêteront un jour avec étonnement :
Plus de larcins alors, plus de baisers avides ;
Les roses subiront un affreux changement.

 » Je croyais comme vous qu’une flamme immortelle
Coulait dans les parfums créés pour me nourrir,
Qu’une fleur était toujours belle,
Et que rien ne devait mourir.
Mais le temps m’a parlé ; sa sévère éloquence
A détendu mon vol et glacé mes penchants :
Le coteau me fatigue et je me traîne aux champs ;
Enfin, je vois la mort où votre inconséquence
Poursuit la volupté. Je n’ai plus de désir,
Car on dit que l’amour est un bonheur coupable :
Hélas ! D’y succomber je ne suis plus capable,
Et je suis tout honteux d’avoir eu du plaisir.  »

Près du sybarite invalide,
Un papillon naissait dans toute sa beauté :
Cette plainte l’étonne ; il rêve, il est tenté
De rentrer dans sa chrysalide.

 » Quoi ! Dit-il, ce ciel pur, ce soleil généreux,
Qui me transforme et qui me fait éclore,
Mon berceau transparent qu’il chauffe et qu’il colore,
Tous ces biens me rendront coupable et malheureux !
Mais un instinct si doux m’attire dans la vie !
Un souffle si puissant m’appelle autour des fleurs !
Là-bas, ces coteaux verts, ces brillantes couleurs
Font naître tant d’espoir, tant d’amour, tant d’envie !
Oh ! Tais-toi, pauvre sage, ou pauvre ingrat, tais-toi !
Tu nous défends les fleurs encor penché sur elles.
Dors, si tu n’aimes plus ; mais les cieux sont à moi :
J’éclos pour m’envoler, et je risque mes ailes ! « 

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Commentaires

  1. Dieu des papillons
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    Ce dieu sans importance, il se démène en vain ;
    Il est devenu vieux, ses ailes sont froissées,
    Son esprit est confus, son âme est émoussée,
    Il ne sait plus très bien prendre son sort en main.

    Il fut jeune, il le pense, il en est incertain,
    Il ne retrouve plus ses anciennes pensées ;
    Des prières jamais ne lui sont adressées,
    Son temple est déserté, au soir comme au matin.

    Mais son coeur vibre encore à la douceur des choses,
    À ce qu’on lui raconte, à ce qu’on lui propose,
    Allons, finalement, d’être vieux, c’est bien doux.

    Il se résigne alors, tous les dieux font de même,
    Il aime ce qu’il a, n’ayant pas ce qu’il aime,
    Ce dieu pratique ainsi la sagesse des fous.

  2. Arbre lucide
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    Ce jardin jadis fut celui du maître Euclide,
    Lequel me révéla de vastes horizons ;
    Je sais que l’Univers n’est pas une prison,
    Mais un Cosmos qui suit des lois toujours valides.

    Une harmonie régit la forme des solides,
    Une horloge préside au cycle des saisons ;
    Tous les animaux sont des êtres de raison,
    Au ciel la balistique encadre les bolides.

    Pour être au diapason, l’homme fait ce qu’il peut,
    Même si par moments son cap dévie un peu ;
    Il tire des leçons de ses erreurs passées.

    La sagesse réside en mon grand corps de bois,
    Aussi pure que l’est la rosée que je bois ;
    Jamais nul arbre n’eut de mauvaises pensées.

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Marceline DESBORDES-VALMORE

Portait de Marceline DESBORDES-VALMORE

Marceline Desbordes-Valmore, née à Douai le 20 juin 1786 et morte à Paris le 23 juillet 1859, est une poétesse française. Elle est la fille d’un peintre en armoiries, devenu cabaretier à Douai après avoir été ruiné par la Révolution. À la fin de 1801, après un séjour à Rochefort et à Bordeaux, Marceline et sa mère... [Lire la suite]

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