Poème 'Le Silence' de Émile VERHAEREN dans 'Les Villages Illusoires'

Le Silence

Émile VERHAEREN
Recueil : "Les Villages Illusoires"

Depuis l’été que se brisa sur elle
Le dernier coup d’éclair et de tonnerre,
Le silence n’est point sorti
De la bruyère.

Autour de lui, là-bas, les clochers droits
Secouent leur cloche, entre leurs doigts,
Autour de lui, rôdent les attelages,
Avec leur charge à triple étage,
Autour de lui, aux lisières des sapinières,
Grince la roue en son ornière,
Mais aucun bruit n’est assez fort
Pour déchirer l’espace intense et mort.

Depuis l’été de tonnerres chargé,
Le silence n’a pas bougé,
Et la bruyère, où les soirs plongent
Par au delà des montagnes de sable
Et des taillis infinissables,
Au fond lointain des loins, l’allonge.

Les vents mêmes ne remuent point les branches
Des vieux mélèzes, qui se penchent
Là-bas, où se mirent, en des marais,
Obstinément, ses yeux abstraits ;
Seule le frôle, en leurs voyages,
L’ombre muette des nuages
Ou quelquefois celle, là-haut,
D’un vol planant de grands oiseaux.

Depuis le dernier coup d’éclair rayant la terre,
Rien n’a mordu, sur le silence autoritaire.

Ceux qui traversèrent sa vastitude,
Qu’il fasse aurore ou crépuscule,
Ont subi tous l’inquiétude
De l’inconnu qu’il inocule.

Comme une force ample et suprême,
Il reste, indiscontinûment, le même :
Des murs obscurs de sapins noirs
Barrent la vue au loin, vers des sentiers d’espoir ;
De grands genévriers songeurs
Effraient les pas des voyageurs ;
Des sentes complexes comme des signes
S’entremêlent, en courbes et lignes malignes,
Et le soleil déplace, à tout moment,
Les mirages, vers où s’en va l’égarement.

Depuis l’éclair par l’orage forgé,
L’âpre silence, aux quatre coins de la bruyère,
N’a point changé.

Les vieux bergers que leurs cent ans disloquent
Et leurs vieux chiens, usés et comme en loques,
Le regardent, parfois, dans les plaines sans bruit,
Sur les dunes en or que les ombres chamarrent.
S’asseoir, immensément, du côté de la nuit.
Alors les eaux ont peur, au pli des mares,
La bruyère se voile et blêmit toute,
Chaque feuillée, à chaque arbuste, écoute
Et le couchant incendiaire
Tait, devant lui, les cris brandis de sa lumière.

Et les hameaux qui l’avoisinent,
Sous les chaumes de leurs cassines,
Ont la terreur de le sentir, là-bas,
Dominateur, quoique ne bougeant pas ;
Mornes d’ennui et d’impuissance,
Ils se tiennent, sous sa présence,
Comme aux aguets – et redoutent de voir,
A travers les brumes qui se desserrent,
Soudainement, s’ouvrir, dans la lune, le soir,
Les yeux d’argent de ses mystères.

Poème préféré des membres

karo02 a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

  1. Tout autour de mon lit j'entends bruire à présent
    Le peuple des démons s'ébattant dans la nue
    Clarté de leur phosphore ou d'un corps plus luisant
    La balance du monde à leurs griffes tenue
    *
    Au jardin caillouteux ne vient aucun printemps
    Pas un oiseau chanteur n'offre sa voix charmante
    Nulle touche de vert depuis assez longtemps
    Que des petits démons folle troupe dansante
    *
    Au son des grondements menaçants guère n'a
    De repos le dormeur contemplant cette image
    Le soleil n'est pas rouge il est plutôt grenat
    Il semble se montrer du fond d'un marécage
    *
    Des cent démons hurlants il entend les appels
    Et les malédictions que ce soir ils chantèrent
    Dans un psaume effrayant où leur maître immortel
    Prononce le déclin et la fin de la Terre

Rédiger un commentaire

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS