Les Meules qui Brûlent
La plaine, au fond des soirs, s’est allumée,
Et les tocsins cassent leurs bonds de sons,
Aux quatre murs de l’horizon.- Une meule qui brûle ! -
Par les sillages des chemins, la foule,
Par les sillages des villages, la foule houle
Et dans les cours, les chiens de garde ululent.- Une meule qui brûle ! -
La flamme ronfle et casse et broie,
S’arrache des haillons qu’elle déploie,
Ou sinueuse et virgulante
S’enroule en chevelure ardente ou lente
Puis s’apaise soudain et se détache
Et ruse et se dérobe – ou rebondit encor :
Et voici, clairs, de la boue et de l’or,
Dans le ciel noir qui s’empanache.- Quand brusquement une autre meule au loin s’allume ! -
Elle est immense – et comme un trousseau rouge
Qu’on agite de sulfureux serpents,
Les feux – ils sont passants sur les arpents
Et les fermes et les hameaux, où bouge,
De vitre à vitre, un caillot rouge.- Une meule qui brûle ! -
Les champs ? ils s’illimitent en frayeurs ;
Des frondaisons de bois se lèvent en lueurs,
Sur les marais et les labours ;
Des étalons cabrés, vers la terreur hennissent ;
D’énormes vols d’oiseaux s’appesantissent
Et choient, dans les brasiers – et des cris sourds
Sortent du sol ; et c’est la mort,
Toute la mort brandie
Et ressurgie, aux poings en l’air de l’incendie.Et le silence après la peur – quand, tout à coup, là-bas,
Formidable, dans le soir las,
Un feu nouveau remplit les fonds du crépuscule ?- Une meule qui brûle ! -
Aux carrefours, des gens hagards
Font des gestes hallucinés,
Les enfants crient et les vieillards
Lèvent leurs bras déracinés
Vers les flammes en étendards.
Tandis qu’au loin, obstinément silencieux,
Des fous, avec de la stupeur aux yeux – regardent.- Une meule qui brûle ! -
L’air est rouge, le firmament,
On le dirait défunt, sinistrement,
Sous les yeux clos de ses étoiles.
Le vent chasse des cailloux d’or,
Dans un déchirement de voiles.Le feu devient clameur hurlée en flamme
Vers les échos, vers les là-bas,
Sur l’autre bord, où brusquement les au-delà
Du fleuve s’éclairent comme un songe :
Toute la plaine ? elle est de braise, de mensonge,
De sang et d’or – et la tourmente
Emporte avec un tel élan,
La mort passagère du firmament,
Que vers les fins de l’épouvante,
Le ciel entier semble partir.
Poème préféré des membres
Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Émile VERHAEREN
Émile Adolphe Gustave Verhaeren, né à Saint-Amand dans la province d’Anvers, Belgique, le 21 mai 1855 et mort à Rouen le 27 novembre 1916, est un poète belge flamand, d’expression française. Dans ses poèmes influencés par le symbolisme, où il pratique le vers libre, sa conscience sociale lui fait évoquer les grandes villes... [Lire la suite]
- J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
- Les Meules qui Brûlent
- Les Vêpres
- Les Saints, les Morts, les Arbres et le Vent
- S'il était vrai
- Sois-nous propice et consolante encor...
- La glycine est fanée et morte est...
- Lorsque ta main confie, un soir...
- Que nous sommes encor heureux et fiers de...
- L'Ombre est Lustrale et l'Aurore Irisée
Commentaires
Aucun commentaire
Rédiger un commentaire