Poème 'L’Île des bossus' de Hégésippe MOREAU dans 'Œuvres de Hégésippe Moreau'

L’Île des bossus

Hégésippe MOREAU
Recueil : "Œuvres de Hégésippe Moreau"

Conte-chanson

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

Un jour, le vent moqueur y jette
Un puîné de Jean de Calais ;
Jean débarque et prend sa lorgnette :
« Tudieu ! que ces magots sont laids ! »
Et Jean, d’un air superbe,
Les toise à chaque pas ;
Car il est un proverbe
Que Jean ne connaît pas :

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

D’un air triomphant, il s’étale
Le soir aux Bouffes ; mais soudain
Autour de lui, de stalle en stalle,
Bourdonne un rire de dédain.
Maint faiseur d’épigramme
Crie : À la porte ! il va
Faire avorter le drame
Et la dona diva.

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

Jean le comprit, et d’une haleine
Vite à son auberge il courut
Endosser deux bosses de laine ;
Puis dans le monde il reparut :
Et soudain chaque belle,
Prise à ce tour subtil,
Du beau Polichinelle
Voulut tenir le fil.

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

Mainte vieille, à la dérobée,
Épuisa pour lui soins et fard ;
Mainte fois sa bosse est tombée
Aux pieds d’une autre Putiphar ;
Enfin, pouvant à peine
Suffire à son bonheur,
Jean d’une énorme reine
Fut… l’écuyer d’honneur.

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

Mais du roi Pouf il vit la fille ;
L’auguste enfant, des plus jolis,
Épouvantail de sa famille,
Avait poussé droit comme un lis.
De ce côté sans cesse
Jean soupire, et, vainqueur
Aux pieds de la princesse
Met sa bosse et son cœur.

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

Tous deux s’esquivent : bon voyage !
Puis en France ils vont saintement
Ajouter à leur mariage
La formule du sacrement.
Bref, de sa double bosse,
Inutile à Calais,
Pour danser à la noce,
Jean se fit des mollets.

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

Il eut un enfant, deux, trois, quatre,
Fut échevin et marguiller,
Vit des abus sans les combattre,
Écouta des sots sans bâiller.
Et, vieux, de la jeunesse
Devenu le Mentor,
Au sortir de la messe
Il fredonnait encor :

Dans le pays des bossus,
Il faut l’être
Ou le paraître :
Les dos plats sont mal reçus
Au pays des bossus.

Poème préféré des membres

ATOS a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

  1. C'est un pays où le soleil
    Est un trou noir dans un ciel mauve ;
    Tu y vas pendant ton sommeil,
    Lors de ton réveil tu t'en sauves.
    *
    Dans ce pays, lorsque tu vois
    Auprès de toi un personnage,
    Ce n'est pas le gars que tu crois ;
    Trop mobiles sont les visages
    *
    Pour qu'on puisse associer un nom
    A une personne qui parle.
    Ah, c'est Alfred, ah, pourtant non,
    Voilà qu'il est devenu Charles.
    *
    C'est un pays où quand on prend
    Un livre on ne voit pas ses lettres,
    Si on les voit on ne comprend
    Rien à ce qu'elles pourraient être,
    *
    Ou si on veut cartographier
    Ces insondables territoires,
    On en est bientôt mortifié ;
    Mais ceci est une autre histoire.

Rédiger un commentaire

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS