Poème 'La Dryade' de Alfred de VIGNY dans 'Poèmes antiques et modernes'

La Dryade

Alfred de VIGNY
Recueil : "Poèmes antiques et modernes"

Idylle dans le goût de Théocrite

Honorons d’abord la Terre, qui, la
première entre les dieux, rendit
ici les oracles…
J’adore aussi les nymphes.
Eschyle.

Vois-tu ce vieux tronc d’arbre aux immenses racines ?
Jadis il s’anima de paroles divines ;
Mais par les noirs hivers le chêne fut vaincu.
Et la dryade aussi, comme l’arbre, a vécu.
(Car, tu le sais, berger, ces déesses fragiles,
Envieuses des jeux et des danses agiles,
Sous l’écorce d’un bois où les fixa le sort,
Reçoivent avec lui la naissance et la mort.)
Celle dont la présence enflamma ces bocages
Répondait aux pasteurs du sein de verts feuillages,
Et, par des bruits secrets, mélodieux et sourds,
Donnait le prix du chant ou jugeait les amours.
Bathylle aux blonds cheveux, Ménalque aux noires tresses,
Un jour lui racontaient leurs rivales tendresses.
L’un parait son front blanc de myrte et de lotus ;
L’autre, ses cheveux bruns de pampres revêtus,
Offrait à la dryade une coupe d’argile ;
Et les roseaux chantants enchaînés par Bathylle,
Ainsi que le dieu Pan l’enseignait aux mortels,
S’agitaient, suspendus aux verdoyants autels.
J’entendis leur prière, et de leur simple histoire
Les Muses et le temps m’ont laissé la mémoire.

MÉNALQUE.

Ô déesse propice ! écoute, écoute-moi !
Les faunes, les sylvains dansent autour de toi,
Quand Bacchus a reçu leur brillant sacrifice ;
Ombrage mes amours, ô déesse propice !

BATHYLLE.

Dryade du vieux chêne, écoute mes aveux !
Les vierges, le matin, dénouant leurs cheveux,
Quand du brûlant amour la saison est prochaine,
T’adorent ; je t’adore, ô dryade du chêne !

MÉNALQUE.

Que Liber protecteur, père des longs festins,
Entoure de ses dons tes champêtres destins,
Et qu’en écharpe d’or la vigne tortueuse
Serpente autour de toi, fraîche et voluptueuse !

BATHYLLE.

Que Vénus te protège et t’épargne ses maux,
Qu’elle anime, au printemps, tes superbes rameaux ;
Et, si de quelque amour, pour nous mystérieuse,
Le charme te liait à quelque jeune yeuse,
Que ses bras délicats et ses feuillages verts
A tes bras amoureux se mêlent dans les airs !

MÉNALQUE.

Ida ! j’adore Ida, la légère bacchante :
Ses cheveux noirs, mêlés de grappes et d’acanthe,
Sur le tigre, attaché par une griffe d’or,
Roulent abandonnés ; sa bouche rit encor
En chantant Évoé ; sa démarche chancelle ;
Les pieds nus, ses genoux que la robe décèle,
S’élancent, et son oeil, de feux étincelant,
Brille comme Phébus sous le signe brûlant.

BATHYLLE.

C’est toi que je préfère, ô toi, vierge nouvelle,
Que l’heure du matin à nos désirs révèle !
Quand la lune au front pur, reine des nuits d’été,
Verse au gazon bleuâtre un regard argenté,
Elle est moins belle encor que ta paupière blonde,
Qu’un rayon chaste et doux sous son long voile inonde.

MÉNALQUE.

Si le fier léopard, que les jeunes sylvains
Attachent rugissant au char du dieu des vins,
Voit amener au loin l’inquiète tigresse
Que les faunes, troublés par la joyeuse ivresse,
N’ont pas su dérober à ses regards brûlants,
Il s’arrête, il s’agite, et de ses cris roulants
Les bois sont ébranlés ; de sa gueule béante,
L’écume coule à flots sur une langue ardente ;
Furieux, il bondit, il brise ses liens,
Et le collier d’ivoire et les jougs phrygiens :
Il part, et, dans les champs qu’écrasent ses caresses,
Prodigue à ses amours de fougueuses tendresses.
Ainsi, quand tu descends des cimes de nos bois,
Ida ! lorsque j’entends ta voix, ta jeune voix,
Annoncer par des chants la fête bacchanale,
Je laisse les troupeaux, la bêche matinale,
Et la vigne et la gerbe où mes jours sont liés :
Je pars, je cours, je tombe et je brûle à tes pieds.

BATHYLLE.

Quand la vive hirondelle est enfin réveillée,
Elle sort de l’étang, encore toute mouillée,
Et, se montrant au jour avec un cri joyeux,
Au charme d’un beau ciel, craintive, ouvre les yeux ;
Puis, sur le pâle saule, avec lenteur voltige,
Interroge avec soin le bouton et la tige ;
Et, sûre du printemps, alors, et de l’amour,
Par des cris triomphants célèbre leur retour.
Elle chante sa joie aux rochers, aux campagnes,
Et, du fond des roseaux excitant ses compagnes :
« Venez ! dit-elle ; allons, paraissez, il est temps !
Car voici la chaleur, et voici le printemps. »
Ainsi, quand je te vois, ô modeste bergère !
Fouler de tes pieds nus la riante fougère,
J’appelle autour de moi les pâtres nonchalants,
A quitter le gazon, selon mes vœux, trop lents ;
Et crie, en te suivant dans ta course rebelle :
« Venez ! oh ! venez voir comme Glycère est belle ! »

MÉNALQUE.

Un jour, jour de Bacchus, loin des jeux égaré,
Seule je la surpris au fond du bois sacré :
Le soleil et les vents, dans ces bocages sombres,
Des feuilles sur ses traits faisaient flotter les ombres ;
Lascive, elle dormait sur le thyrse brisé ;
Une molle sueur, sur son front épuisé,
Brillait comme la perle en gouttes transparentes,
Et ses mains, autour d’elle, et sous le lin errantes,
Touchant la coupe vide, et son sein tour à tour,
Redemandaient encore et Bacchus et l’Amour.

BATHYLLE.

Je vous adjure ici, nymphes de la Sicile,
Dont les doigts, sous les fleurs, guident l’onde docile ;
Vous reçûtes ses dons, alors que sous nos bois,
Rougissante, elle vint pour la première fois.
Ses bras blancs soutenaient sur sa tête inclinée
L’amphore, œuvre divine aux fêtes destinée,
Qu’emplit la molle poire, et le raisin doré,
Et la pêche au duvet de pourpre coloré ;
Des pasteurs empressés l’attention jalouse
L’entourait, murmurant le nom sacré d’épouse ;
Mais en vain : nul regard ne flatta leur ardeur ;
Elle fut toute aux dieux et toute à la pudeur.

Ici, je vis rouler la coupe aux flancs d’argile ;
Le chêne ému tremblait, la flûte de Bathylle
Brilla d’un feu divin ; la dryade un moment,
Joyeuse, fit entendre un long frémissement,
Doux comme les échos dont la voix incertaine
Murmure la chanson d’une flûte lointaine.

Écrit en 1815.

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Commentaires

  1. Couple nostalgique
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    L’arbre vieillit, la dryade soupire,
    Où s’en alla leur juvénile ardeur ?
    Il est passé, le temps de la verdeur,
    C’est au repos, maintenant, qu’ils aspirent.

    Chronos les tient en ses cruelles spires,
    J’entends l’écho de son rire moqueur ;
    Il peut compter nos battements de coeur,
    Il sait la fin de tout ce qui respire.

    En ses vieux jours, l’arbre reste dressé,
    Par sa faiblesse il n’est pas rabaissé ;
    De souvenirs son âme s’illumine.

    En leur hiver est un faible soleil
    Qui vers aucun printemps ne s’achemine,
    Mais bien plutôt vers l’éternel sommeil.

  2. DJvjxlnm

  3. Fruits défendus
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    C’est du poison, c’est même pire ;
    N’écoutons pas le tentateur ;
    C’est un truand, c’est un menteur,
    C’est à notre mort qu’il aspire.

    Ne soyons pas pris en ses spires,
    Que le mal ne soit pas vainqueur ;
    Sa parole noircit nos coeurs,
    Lui qui triche comme il respire.

    Si tu le vois se redresser,
    Il te faudra le rabaisser ;
    Montrer que c’est toi qui domine.

    Qu’il se dessèche au grand soleil,
    Il est de ceux qu’on élimine ;
    Offre-lui son dernier sommeil.

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