Poème 'La Fille de Jephté' de Alfred de VIGNY dans 'Poèmes antiques et modernes'

La Fille de Jephté

Alfred de VIGNY
Recueil : "Poèmes antiques et modernes"

« Et de là vient la coutume qui
s’est toujours observée depuis en Israël,
Que toutes les filles d’Israël s’assemblent
une fois l’année, pour pleurer la
fille de Jephté de Galaad
pendant quatre jours. »
Juges, ch. IX, V. 40.

Voilà ce qu’ont chanté les filles d’Israël,
Et leurs pleurs ont coulé sur l’herbe du Carmel :

— Jephté de Galaad a ravagé trois villes ;
Abel ! la flamme a lui sur tes vignes fertiles !
Aroër sous la cendre éteignit ses chansons,
Et Mennith s’est assise en pleurant ses moissons !

Tous les guerriers d’Ammon sont détruits, et leur terre
Du Seigneur notre Dieu reste la tributaire.
Israël est vainqueur, et par ses cris perçants
Reconnaît du Très-Haut les secours tout-puissants.

À l’hymne universel que le désert répète
Se mêle en longs éclats le son de la trompette,
Et l’armée, en marchant vers les tours de Maspha,
Leur raconte de loin que Jephté triompha.

Le peuple tout entier tressaille de la fête.
— Mais le sombre vainqueur marche en baissant la tête ;
Sourd à ce bruit de gloire, et seul, silencieux,
Tout à coup il s’arrête, il a fermé ses yeux.

Il a fermé ses yeux, car, au loin, de la ville,
Les vierges, en chantant, d’un pas lent et tranquille,
Venaient ; il entrevoit le chœur religieux ;
C’est pourquoi, plein de crainte, il a fermé ses yeux.

Il entend le concert qui s’approche et l’honore :
La harpe harmonieuse et le tambour sonore,
Et la lyre aux dix voix, et le kinnor, léger,
Et les sons argentins du nebel étranger,

Puis, de plus près, les chants, leurs paroles pieuses,
Et les pas mesurés en des danses joyeuses,
Et, par des bruits flatteurs, les mains frappant les mains,
Et de rameaux fleuris parfumant les chemins.

Ses genoux ont tremblé sous le poids de ses armes ;
Sa paupière s’entr’ouvre à ses premières larmes :
C’est que, parmi les voix, le père a reconnu
La voix la plus aimée à ce chant ingénu :

— « Ô vierges d’Israël ! ma couronne s’apprête
La première à parer les cheveux de sa tête ;
C’est mon père, et jamais un autre enfant que moi
N’augmenta la famille heureuse sous sa loi. »

Et ses bras à Jephté donnés avec tendresse,
Suspendant à son col leur pieuse caresse :
« Mon père, embrassez-moi ! D’où naissent vos retards ?
Je ne vois que vos pleurs et non pas vos regards.

Je n’ai point oublié l’encens du sacrifice :
J’offrais pour vous hier la naissante génisse.
Qui peut vous affliger ? Le Seigneur n’a-t-il pas
Renversé les cités au seul bruit de vos pas ? »

— « C’est vous, hélas ! c’est vous, ma fille bien-aimée ? »
Dit le père en rouvrant sa paupière enflammée ;
« Faut-il que ce soit vous ! ô douleur des douleurs !
Que vos embrassements feront couler de pleurs !

Seigneur, vous êtes bien le Dieu de la vengeance ;
En échange du crime il vous faut l’innocence.
C’est la vapeur du sang qui plaît au Dieu jaloux !
Je lui dois une hostie, ô ma fille ! et c’est vous !

— « Moi ! » dit-elle. Et ses yeux se remplirent de larmes.
Elle était jeune et belle, et la vie a des charmes.
Puis elle répondit : « Oh ! si votre serment
Dispose de mes jours, permettez seulement

« Qu’emmenant avec moi les vierges mes compagnes,
J’aille, deux mois entiers, sur le haut des montagnes,
Pour la dernière fois, errante en liberté,
Pleurer sur ma jeunesse et ma virginité ! »

« Car je n’aurai jamais, de mes mains orgueilleuses,
Purifié mon fils sous les eaux merveilleuses ;
Vous n’aurez pas béni sa venue, et mes pleurs
Et mes chants n’auront pas endormi ses douleurs ;

« Et, le jour de ma mort, nulle vierge jalouse
Ne viendra demander de qui je fus l’épouse,
Quel guerrier prend pour moi le cilice et le deuil :
Et seul vous pleurerez autour de mon cercueil. »

Après ces mots, l’armée assise tout entière
Pleurait, et sur son front répandait la poussière.
Jephté sous un manteau tenait ses pleurs voilés ;
Mais, parmi les sanglots, on entendit : « Allez. »

Elle inclina la tête et partit. Ses compagnes,
Comme nous la pleurons, pleuraient sur les montagnes,
Puis elle vint s’offrir au couteau paternel.
- Voilà ce qu’ont chanté les filles d’Israël.

Écrit en 1820.

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Commentaires

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