Poème 'Les Premières Communiantes' de Georges RODENBACH dans 'Le Miroir du ciel natal'

Les Premières Communiantes

Georges RODENBACH
Recueil : "Le Miroir du ciel natal"

I

Aux jours pascals, quand le ciel est d’azur,
? Ô cet azur d’avril qui n’est pas encor sûr ! ?
Apparaissent les Premières Communiantes,
Cloches de mousseline,
Robes bouffantes
Qui cheminent…

Elles vont, cloches d’innocence,
En de si blancs, si vaporeux atours !
Elles ont l’air de rentrer d’une absence,
De sortir d’une tour,
Parmi la brise anémiante
Dont la langueur s’apparie à la leur,
Premières Communiantes,
Cloches s’agglomérant en robes de pâleur.

II

Les Premières Communiantes toutes blanches
Se rappellent, parmi leur tulle virginal,
Les confessionnaux qui font pleurer les anges
Et quel soir il régnait dans ces antres du Mal.

Elles ont chuchoté, bas, leurs légers péchés,
Les lèvres en feu comme quand on se fiance,
Ayant bien fait leur examen de conscience
Afin de sentir bon comme un bois d’orangers.

L’heureux miracle et le délice d’être absoutes !
Et ce blanchissement de l’étole dans l’ombre,
Geste en suspens du prêtre, un geste comme en route,
Qui, de plus en plus proche, ouvre un vol de colombe.

Colombe sur tous ces médiocres péchés
Qui s’égouttent en pluie unie et monotone ;
La colombe du bon pardon s’est rapprochée ;
L’âme neuve, pleine de fleurs, rit et s’étonne…

Comme elles ont eu peur, et qu’elles étaient tristes
En entrant dans le noir des confessionnaux,
Antres en qui l’odeur des vieux péchés persiste
Et où leur frêle voix trembla comme un jet d’eau !

Derrière le grillage ouvert, ah ! quelle honte !
Le prêtre était le berger derrière une haie
Dont le visage, blanc de clair de lune, effraie ;
Chacune se sentait l’agneau durant la tonte…

III

Ah ! ces grâces du blanc qui ne durent qu’un jour !

Les Premières Communiantes s’angélisent ;
Leurs essaims ont neigé au seuil noir des églises
Qui atténuent l’ombre sur elles de la tour ;
Car tout leur tulle est si sensitif, et leur voile,
Que c’est assez de l’ombre grise d’un clocher
Pour abolir leur joie et les effaroucher ;
(Une brume suffit pour que pleure une étoile.)

Ah ! ces grâces du blanc qui ne durent qu’à peine !

C’est la grâce des fleurs d’avril dans les vergers ;
On dirait un concile, au milieu de la plaine,
De vierges frissonnant sous des tulles légers ;
Le vent joue et chantonne ; il croit que c’est dimanche,
À voir dans les vergers, comme assises en rond,
Toutes ces floraisons d’arbres en robes blanches.

Ah ! ces grâces du blanc qui tôt se faneront !

C’est la grâce de la brume sur un étang
Que le matin avait vêtu de mousseline,
Comme pour une approche aussi un peu divine ;
Éphémère parure, atours inconsistants…
Bientôt la brume cesse ; et l’eau qu’elle a quittée
S’apparaît solitaire et comme dénudée ;
Blanc vêtement qu’était pour elle le brouillard,
Le voici qui déjà s’envole, s’effiloche
Et va finir où finissent les sons de cloche…

Ah ! ces grâces du blanc, brèves comme un départ !

C’est la brièveté, sur les vitres, du givre
Ne durant que le temps d’une nuit de Noël,
Frêle bouquet captif, impatient du ciel,
Que vite le matin, plein de soleil, délivre.

IV

Les Premières Communiantes
Sont une apothéose en tulle ;
Ah ! retrouver son âme crédule
Et ses lèvres d’alors, si peu niantes.

Quel souvenir pour la femme !
Se revoir à travers les années
Telle qu’une petite mariée ;
Mais le pastel n’est plus ressemblant et se fane.

Un voile aux cheveux, comme un nimbe ;
Et toute blancheur : la robe et les mules,
Et les gants et aussi les guimpes
Croisant des plis sur les poitrines nulles.

Seule la bouche était rouge,
Du rouge d’une fleur de géranium
Derrière un rideau de couvent, qui bouge…
Ah ! surtout réentendre encor l’harmonium !

Cela se répandait comme une eau,
Une eau tiède où on était des cygnes
Et des îles de mousseline
Et de pâles fanaux ;

Cela s’étalait sans fin,
Cette eau du clavier élargie.
Inoubliable instant divin,
Et le baiser, sur la bouche, de l’hostie !

Ce fut comme un grand baiser blanc,
Comme un baiser reçu en rêve,
Comme un céleste attouchement,
Comme les lèvres de la lune sur les lèvres.

V

Extase d’un dimanche d’avril à Malines
Avec des Communiantes dans des berlines !

Profils de camélia blanc
Sur les vitres des portières armoriées,
On les prendrait pour de petites mariées
Qui vont faire semblant
D’aimer et d’épouser Jésus
En disant des prières un peu décousues…

Extase d’un dimanche d’avril à Malines.

Matin de fête ! Joie et feuilles nouveau-nées !
Comme l’hiver est loin et tous ses maux !
L’eau des sombres canaux
Est tout enluminée ;
Et les cloches battent de l’aile autour des tours
À voir tant de petites vierges
En blancs atours,
Blanches comme leur cierge.

Blanc unanime ! Blancs neigés !
Les cloches ont l’air de ciboires
Où chantent des hosties ;
Les jardins sont blancs comme des vergers.

Extase d’un dimanche d’avril à Malines…

L’azur se déploie ; un oiseau pépie ;
Les canaux étaient las, hélas !
Tous les reflets mouraient dans leur eau noire ;
Ils avaient porté tant de siècles
Et réfléchi tant de couvents,
Leurs pignons lourds, leurs lourdes règles ;
Ils étaient las, si las !
Les voici maintenant comme pleins d’enfants…
Ce sont les nuages de ce dimanche
Qui s’y promènent en falbalas
De robes blanches.

Extase d’un dimanche d’avril à Malines,
Où passeraient dans l’air ému des mousselines.

Tout l’essaim virginal neigea
Aux églises dont la vieillesse rajeunit ;
Colombes du Saint-Esprit dans ces vieux nids ;
Or la grand’messe a commencé déjà :
Nappes d’autel, calme printemps de givre,
Dentelle, qu’on dirait faite en fils de la Vierge,
Dont les bouquets jamais ne se délivrent…
Et vous les si frêles cires pascales
Que tantôt les Communiantes vont tenir,
Comme si c’était leur vie inégale
Qui, dans leurs mains, flamme falote,
Hésite, se redresse, vivote
À tous les vents de l’Avenir !

Extase d’un dimanche d’avril à Malines
Quand, à l’Agnus Dei, la clochette bruine ;

Blancs propagés ! Blancs unanimes !
Les tulles sont d’accord avec les hymnes !
C’est donc enfin le moment du Graal ;
C’est le moment enfantinement nuptial :
Marches rythmiques ! Pantomime !
Processionnellement, et presque sans oser ;
Elles ont un air de victimes
À marcher vers le Banc, les doigts juxtaposés,
Et se pâment au pain azyme,
Écarquillant leur bouche comme à un baiser…

Extase d’un dimanche d’avril à Malines.

Journée unique, silence attiédi,
Où les cloches, dans l’air, comme blanches, cheminent ;
Et la si calme fin de cet après-midi
Et le si calme soir
Où les cygnes des canaux noirs,
Les nuages en draperies,
Les floraisons, les sonneries,
Les Premières Communiantes
? Pâles encor, le soir, d’être sorties à jeun ?
Se confondent dans les ombres unifiantes
Et ne font qu’un.

Extase d’un dimanche d’avril à Malines
Où on s’endormirait dans ces blancs unanimes !

VI

Les Communiantes s’en sont allées
Comme de blanches azalées.

Frileuses, elles n’ont resplendi qu’un matin,
(Tulles frêles que les plus doux vents désajustent)
De la blancheur qu’ont en avril d’humbles arbustes ;
On eût dit tout à coup voir marcher un jardin.

Les Communiantes s’en sont allées ;
On les suit comme des allées.

Sur les vitres de la maison où il faut vivre
Et dont depuis longtemps s’est fané tout l’azur,
Elles sont ces grands lis et ces palmes de givre
Damassant un moment les carreaux trop obscurs,
Frêle bouquet d’hiver, qui si peu persévère
Et fond vite et s’achève en larmes sur le verre…

Les communiantes s’en sont allées,
Comme des vitres dégelées.

Elles étaient les purs reposoirs de l’Hostie,
Blanches, malgré l’ombre sur elles de la tour,
En s’attardant sur le parvis, à la sortie ;
Les cloches chantaient doux, si doux en ce beau jour !

Les Communiantes s’en sont allées.

Or, leurs robes étant comme en forme de cloches,
On eût dit qu’au lieu des cloches noires, c’étaient
Leurs robes qui versaient ces sons blancs et tintaient,

Cloches de tulle brimbalées.

Et l’air, ému comme une eau morte à leurs approches,
Tremblait, habitué qu’on lui fît violence ;
Celles-ci déplaçaient à peine le silence…
Tels les cygnes, qui sont un si léger fardeau,
En nageant, ne déplacent qu’à peine un peu d’eau…

Les Communiantes s’en sont allées,
Ailes blanches intercalées.

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Georges RODENBACH

Portait de Georges RODENBACH

Georges Rodenbach (né le 16 juillet 1855 à Tournai et mort le 25 décembre 1898 à Paris) était un poète symboliste et un romancier belge de la fin du XIXe siècle. Issu d’une famille bourgeoise d’origine allemande – son père, fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, est vérificateur des poids et mesures ;... [Lire la suite]

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