Poème 'Soir Religieux' de Émile VERHAEREN dans 'Les Moines'

Soir Religieux

Émile VERHAEREN
Recueil : "Les Moines"

I

Près du fleuve roulant vers l’horizon ses ors
Et ses pourpres et ses vagues entre-frappées,
S’ouvre et rayonne, ainsi qu’un grand faisceau d’épées,
L’abside ardente avec ses sveltes contreforts.

La nef allume auprès ses merveilleux décors :
Ses murailles de fer et de granit drapées,
Ses verrières d’émaux et de bijoux jaspées
Et ses cryptes, où sont couchés des géants morts ;

L’âme des jours anciens a traversé la pierre
De sa douleur, de son encens, de sa prière
Et resplendit dans les soleils des ostensoirs ;

Et tel, avec ses toits lustrés comme un pennage,
Le temple entier paraît surgir au fond des soirs,
Comme une chasse énorme, où dort le moyen âge.

II

Vers une lune toute grande,
Qui reluit dans un ciel d’hiver
Comme une patène d’or vert,
Les nuages vont à l’offrande.

Ils traversent le firmament,
Qui semble un chœur plein de lumières
Où s’étageraient des verrières
Lumineuses obscurément,

Si bien que ces nuits remuées
Mirent au fond de marais noirs,
Comme en de colossaux miroirs,
La messe blanche des nuées.

III

Des villages plaintifs et des champs reposés,
Voici que s’exhalait, dans la paix vespérale,
Un soupir doucement triste comme le râle
D’une vierge qui meurt pâle, les yeux baissés,

Le cœur en joie et tout au ciel déjà tendante.
Les vents étaient tombés. Seule encor remuait,
Là-bas, vers le couchant, dans l’air vide et muet,
Une cloche d’église à d’autres répondante

Et qui sonnait, sous sa mante de bronze noir,
Comme pour un départ funéraire d’escortes,
Vers des lointains perdus et des régions mortes,
La souffrance du monde éparse au fond du soir.

C’était un croisement de voix pauvres et lentes,
Si triste et deuillant qu’à l’entendre monter,
Un oiseau quelque part se remit à chanter,
Très faiblement, parmi les ramilles dolentes,

Et que les blés, calmant peu à peu leur reflux,
S’aplanirent – tandis que les forêts songeuses
Regardaient s’en aller les routes voyageuses,
A travers les terreaux, vers les doux angelus.

IV

Le déclin du soleil étend, jusqu’aux lointains,
Son silence et sa paix comme un pâle cilice ;
Les choses sont d’aspect méticuleux et lisse
Et se détaillent clair sur des fonds byzantins.

L’averse a sabré l’air de ses lames de grêle,
Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu,
Et que c’est l’heure où meurt à l’occident le feu,
Où l’argent de la nuit à l’or du jour se mêle.

A l’horizon, plus rien ne passe, si ce n’est
Une allée infinie et géante de chênes,
Se prolongeant au loin jusqu’aux fermes prochaines.
Le long des champs en friche et des coins de genêt.

Ces arbres vont – ainsi des moines mortuaires
Qui s’en iraient, le cœur assombri par les soirs,
Comme jadis partaient les longs pénitents noirs
Pèleriner, là-bas, vers d’anciens sanctuaires.

Et la route d’amont toute large s’ouvrant
Sur le couchant rougi comme un plant de pivoines,
A voir ces arbres nus, à voir passer ces moines,
On dirait qu’ils s’en vont ce soir, en double rang,

Vers leur Dieu dont l’azur d’étoiles s’ensemence ;
Et les astres, brillant là-haut sur leur chemin,
Semblent les feux de grands cierges, tenus en main,
Dont on n’aperçoit pas monter la tige immense

V

Un silence souffrant pénètre au cœur des choses,
Les bruits ne remuent plus qu’affaiblis par le soir,
Et les ombres, quittant les couchants grandioses,
Descendent, en froc gris, dans les vallons s’asseoir.

Un grand chemin désert, sans bois et sans chaumières,
A travers les carrés de seigle et de sainfoin,
Prolonge en son milieu ses deux noires ornières
Qui s’en vont et s’en vont infiniment au loin.

Dans un marais rêveur, où stagne une eau brunie,
Un dernier rais se pose au sommet des roseaux ;
Un cri grêle et navré, qui pleure une agonie,
Sort d’un taillis de saule où nichent des oiseaux ;

Et voici l’angelus, dont la voix tranquillise
La douleur qui s’épand sur ce mourant décor,
Tandis que les grands bras des vieux clochers d’église
Tendent leur croix de fer par-dessus les champs d’or.

VI

L’averse a sabré l’air de ses lames de grêle,
Et voici que le ciel luit comme un parvis bleu,
Et que c’est l’heure où meurt à l’occident, le feu
Où l’argent de la nuit à l’or du jour se mêle.

A l’horizon, plus rien ne passe, si ce n’est
Une allée invaincue et géante de chênes,
Se prolongeant là-bas jusqu’aux fermes prochaines,
Le long des champs en friche et des coins de genêt.

Ces arbres vont – ainsi des moines mortuaires
Qui s’en iraient, le cœur assombri par les soirs,
Comme jadis partaient les longs pénitents noirs
Pèleriner au loin vers d’anciens sanctuaires.

Et la route montant et tout à coup s’ouvrant
Sur le couchant rougi comme un plant de pivoines,
A voir ces arbres nus, à voir passer ces moines,
On dirait qu’ils s’en vont, ensemble, et tous en rang,

Vers leur Dieu dont l’azur d’étoiles s’ensemence ;
Et les astres, brillant là-haut sur leur chemin,
Semblent les feux de grands cierges tenus en main,
Dont on n’aperçoit pas monter la tige immense.

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