Poème 'Niobé' de Charles-Marie LECONTE DE LISLE dans 'Poèmes antiques'

Niobé

Charles-Marie LECONTE DE LISLE
Recueil : "Poèmes antiques"

Ville au bouclier d’or, favorite des Dieux,
Toi que bâtit la Lyre aux sons mélodieux,
Toi que baigne Dirkè d’une onde inspiratrice,
D’Hèraclès justicier magnanime nourrice,
Thèbes ! – Toi qui contins entre tes murs sacrés
Le Dieu né de la foudre, aux longs cheveux dorés,
Ceint de pampre, Iakkhos, qui, la lèvre rougie,
Danse, le thyrse en main, aux monts de la Phrygie !
Ville illustre, où l’éclair féconda Sémélé,
Un peuple immense en toi murmure amoncelé.

Au lever du soleil, doucement agitée,
Telle chante la Mer, quand Inô-Leucothée,
La fille de Kadmos, Déesse à qui tu plais,
Abandonne en riant son humide palais,
Et déroule à longs plis le voile tutélaire
Qui du sombre Notos fait tomber la colère.
Les Nymphes aux beaux yeux, habitantes des eaux,
Ont couronné leurs fronts d’algues et de roseaux,
Et, s’élançant du sein des grottes de Nérée,
Suivent la belle Inô, compagne vénérée.
Pareilles sur les mers à des cygnes neigeux,
Elles nagent ! Les flots s’apaisent sous leurs jeux,
Et le puissant soupir des ondes maternelles
Monte par intervalle aux voûtes éternelles.
Tel ton peuple murmure et court de toutes parts !
De joyeuses clameurs ébranlent tes remparts ;
Tes temples animés de marbres prophétiques
Ouvrent aux longs regards leurs radieux portiques ;
Au pied des grands autels qu’un sang épais rougit,
Sous le couteau sacré l’hécatombe mugit,
Et vers le ciel propice une brise embaumée
Emporte des trépieds la pieuse fumée.
L’ardent Lykoréen, l’oeil mi-clos de sommeil,
De la blonde Thétis touche le sein vermeil.
La Nuit tranquille couvre, en déployant ses ailes,
La terre de Pélops d’ombres universelles.
Les jeux Isménéens, source de nobles prix,
Finissent, et font place aux banquets de Kypris ;
L’olivier cher aux Dieux ceint les fronts héroïques ;
Et tous, avec des chants, vers les remparts lyriques
Reviennent à grand bruit comme des flots nombreux,
Par les plaines, les monts et les chemins poudreux.
Leur rumeur les devance, et son écho sonore
Jusqu’aux monts Phocéens roule et murmure encore.
Mille étalons légers, impatients du frein,
Liés aux chars roulant sur les axes d’airain,
Superbes, contenus dans leur fougue domptée,
Mâchent le mors blanchi d’une écume argentée.
Qu’ils sont beaux, asservis mais fiers sous l’aiguillon,
Et creusant dans la poudre un palpitant sillon !
Les uns, aux crins touffus, aux naseaux intrépides,
De l’amoureux Alphée ont bu les eaux rapides ;
Ceux-ci, remplis encor de sauvages élans,
Sous le hardi Lapithe assouplissent leurs flancs,
Et, rêvant, dans leur vol, la libre Thessalie,
Hennissent tout joyeux sous le joug qui les lie ;
Ceux-là, par Zéphyros sur le sable enfantés,
Nourris d’algue marine et sans cesse irrités,
S’abandonnant au feu d’un sang irrésistible,
Ont du Dieu paternel gardé l’aile invisible,
Et, toujours ruisselants de rage et de sueur,
Jettent de leurs grands yeux une ardente lueur.
Ils entraînent, fumants d’une brûlante haleine,
Les grands vieillards drapés dans la pourpre ou la laine,
Graves, majestueux, couronnés de respect,
Et les jeunes vainqueurs au belliqueux aspect,
Qui, fiers du noble poids de leur gloire première,
Sur leurs casques polis font jouer la lumière.
Les enfants de Kadmos à leur trace attachés
S’agitent derrière eux, haletants et penchés ;
Et dans Thèbes bientôt les coursiers qui frémissent
Déposent les guerriers sous qui les chars gémissent.
Le palais d’Amphiôn, aux portiques sculptés,
S’entr’ouvre aux lourds essieux l’un par l’autre heurtés.
Chaque héros s’élance, et les fortes armures
Ont glacé tous les coeurs par d’effrayants murmures.
Les serviteurs du Roi, sur le seuil assemblés,
Servent l’orge et l’avoine aux coursiers dételés ;
Et les chars, recouverts de laines protectrices,
S’inclinent lentement contre les murs propices.

Sous des voûtes de marbre, abri mystérieux,
Loin des bruits du palais, de l’oreille et des yeux,
En de limpides bains nourris de sources vives,
De larges conques d’or reçoivent les convives.
L’huile baigne à doux flots leurs membres assouplis ;
De longs tissus de lin les couvrent de leurs plis ;
Puis, aux sons amoureux des lyres ioniques,
Ils entrent, revêtus d’éclatantes tuniques.
Ô surprise ! en la salle aux contours spacieux,
L’argent, l’ambre et l’ivoire éblouissent les yeux.
Dix Nymphes d’or massif, qu’on dirait animées,
Tendent d’un bras brillant dix torches enflammées ;
Mille flambeaux encore, aux voûtes suspendus,
Font jaillir tour à tour leurs feux inattendus ;
Et la flamme, inondant l’enceinte rayonnante,
Semant d’ardents reflets la pourpre environnante,
Irradie en éclairs aux lambris de métal.
Comme un Dieu que supporte un riche piédestal,
Le divin Amphiôn, semblable au fils de Rhée,
D’un sceptre étincelant charge sa main sacrée,
Et soutient, le front haut, de ses larges genoux,
Sa lyre créatrice, aux accents forts et doux.
La paix et la bonté, la gloire et le génie
Couronnent à la fois ce roi de l’harmonie.
Dans sa robe de pourpre, immobile et songeur,
Il suit auprès des Dieux son esprit voyageur ;
Il règne, il chante, il rêve. Il est heureux et sage.
Sa barbe, à longs flocons déjà blanchis par l’âge,
Sur sa grande poitrine avec lenteur descend,
Et le bandeau royal serre son front puissant.
Assise à ses côtés sur la pourpre natale,
La fière Niobé, la fille de Tantale,
Droite dans son orgueil, avec félicité
Contemple les beaux fruits de sa fécondité :
Sept filles et sept fils, richesse maternelle
Qu’elle réchauffe encore à l’abri de son aile.
Auprès d’elle, à ses pieds, actives, et roulant
La quenouille d’ivoire au gré de leur doigt blanc,
Vingt femmes de Lydie aux riches bandelettes
Ourdissent finement les laines violettes.
Telles, près de Thétis, sous les grottes d’azur
Que baigne incessamment un flot tranquille et pur,
En un lit de corail les blanches Néréides
Tournent en souriant leurs quenouilles humides.

Pourtant, les serviteurs font d’un bras diligent
Couler les vins dorés des kratères d’argent ;
Le miel tombe en rayons des profondes amphores ;
Aux convives royaux les jeunes Kanéphores
Offrent les fruits vermeils. Sous le festin fumant
La table aux ais nombreux a gémi longuement. […]

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Charles-Marie LECONTE DE LISLE

Portait de Charles-Marie LECONTE DE LISLE

Charles Marie René Leconte de Lisle, né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul dans l’Île Bourbon et mort le 17 juillet 1894 à Voisins, était un poète français. Leconte de Lisle passa son enfance à l’île Bourbon et en Bretagne. En 1845, il se fixa à Paris. Après quelques velléités lors des événements de 1848, il renonça... [Lire la suite]

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