Poème 'Péristère' de Amable TASTU dans 'Poésies'

Péristère

Amable TASTU
Recueil : "Poésies"

Fragment du poème d’Erinne


Erinne a fait peu de choses ; ses vers sont peu nombreux , mais
on y sent la présence des Muses. Aussi sa mémoire est immortelle,
et la nuit obscure du temps ne la couvrira pas de ses ailes noires,
pendant que des myriades entières de poètes modernes, tels
que nous, périssent dans l’oubli. C’est que le faible chant du
cygne est plus doux que le cri perçant des geais, qu’emportent
les vents impétueux de l’hiver.
ANTIPATER, de Sidon.


Mes chants, amis de l’ombre et du mystère
Vous rediront le sort de Péristère.
Prêtez l’oreille, ô Nymphes d’alentour,
Et gardez-vous de défier l’Amour.

Pour soulager ses passereaux fidèles,
Le char d’azur de la reine des belles
S’abat à l’ombre au sein des prés fleuris ;
Libres de nœuds, les oiseaux de Cypris
Aux flots d’argent des ondes jaillissantes
Rafraîchissaient leurs ailes frémissantes.

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour,
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Très de sa mère, étendu sur la rive,
Amour rêvait et riait à la fois ;
Faible jouet de sa malice oisive,
L’émail des champs s’effeuillait sous ses doigts.

« Pourquoi livrer d’inutiles offrandes
Aux vents jaloux, tandis qu’en leurs parvis
Gnide et Paphos réclament des guirlandes ?
Viens essayer, dit Vénus à son fils,
Qui de nous deux, sur le sein de Cybèle,
Aura cueilli la moisson la plus belle,
Entre cette heure et l’heure où le soleil
Vers l’horizon penche son front vermeil ;
Quand, moins ardent, son rayon se prolonge,
Et que des bois l’ombre à leurs pieds s’alonge. »

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour,
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Il part ; l’Eurus dans sa course orageuse,
L’oiseau qui fuit de perfides réseaux,
Le papillon, l’abeille voyageuse,
L’insecte ailé qui brille sur les eaux,
Seraient moins prompts, moins agiles, moins beaux.
Impatient, il vole aux fleurs nouvelles ;
Du battement de ses rapides ailes
Le carquois d’or sur son dos retentit.
Déjà Vénus, qu’un sourire avertit,
Voit sur le sein de la verte prairie
S’amonceler la récolte fleurie.

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour,
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Mais quel témoin de la lutte divine
Parut alors à travers les rameaux,
Que blanchissait la naissante aubépine ?
Ce front de lis paré de bruns anneaux,
Ces grands yeux noirs, dont la flamme mobile
De l’enfant-dieu suivait le vol agile,
Et de ces traits la timide gaîté,
Tout révélait quinze ans et la beauté.
Du lin tissu la neige éblouissante
Environnait sa grâce adolescente.

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour,
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Vénus la voit, et de son doigt l’appelle ;
C’est vainement, et la jeune rebelle
S’enfuit d’abord ; puis un souris divin
La rassura ; puis la belle craintive
Hésite ; puis se montre, accourt enfin,
Confuse encor, mais riante et naïve.

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour.
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Viens, dit alors la reine de Cythère ;
Nymphe, Vénus implore ton secours.
Ces mots flatteurs ont séduit Péristère.
Jeune imprudente, à quel péril tu cours !
Ses pieds vermeils ne touchent pas la terre ;

Les fleurs des prés, des bois, des arbrisseaux,
Entre ses mains s’amassent en faisceaux ;
Et des bosquets l’odorante richesse
Est rassemblée aux pieds de la déesse.

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour,
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Mais l’ombre croît au pied de la colline,
Le char du jour vers l’Occident s’incline ;
Vénus alors montre à l’Amour surpris
L’ample moisson autour d’elle amassée ;
Il s’en irrite, et sa fierté blessée
De ce combat cède à regret le prix.
Mais son vainqueur bientôt frappe sa vue ;
Près de Cypris une nymphe ingénue
Se tient cachée, et, sous ses voiles blancs,
Presse son cœur de ses deux bras tremblans ;
L’enfant ailé lui promet un salaire,
Et de son arc la frappe avec colère.

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour,
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Courroux fatal, triste métamorphose !
Un froid soudain roidit ses pieds de rose,
Et de son corps un duvet argenté
Ensevelit la pudique beauté.
Sa voix s’éteint, ses yeux en vain supplient ;

Ses blancs tissus en ailes se replient ;
Elle veut fuir, mais, d’un vol impuissant,
Sur le gazon retombe en gémissant.
Elle est colombe, et son plaintif langage
Semble redire aux échos du bocage :

Vous, qu’il menace, ô Nymphes d’alentour,
Gardez-vous bien de défier l’Amour.

Poème préféré des membres

jpb01 a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

Aucun commentaire

Rédiger un commentaire

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS