Poème 'Poème du lait' de Marie NOËL dans 'Chants de la Merci'

Poème du lait

Marie NOËL
Recueil : "Chants de la Merci"

ÈVE

Bois, mon petit, à ma poitrine qui coule,
Je suis ta source – Bois ! – ta tiède fontaine,
Bois ce doux lait qui coule en ta gorge pleine
Avec un bruit de colombe qui roucoule.

Pose ta joue à la place la plus tendre
De ma chair. Mords-moi de ta petite bouche.
Du bout de mon sein mol je tente, je touche
Ta lèvre qui se trompe autour… Viens le prendre !

Bois, mon petit avide, emplis ta faiblesse
De moi qui me penche et qui te suis versée.
Capte ce lait chaud de m’avoir traversée
Au bourgeon de la mamelle… Ah ! tu me blesses !

Le savais-je la douceur d’être blessée,
Ouverte et saignant comme une orange vive
Qui fond en miel et n’est plus sous la gencive,
Plus rien qu’une joie à la gorge laissée ?

Adam ! Adam ! la douceur d’être mangée,
Qui la savait ? Qui savait le cher supplice
D’être la gorgée émouvante qui glisse
Et m’entraîne toute en mon petit changée ?

La douceur de mourir, la tendre aventure
De me perdre sans yeux ni route, en allée
Dans le noir de toi qui m’attendais, mêlée
Aux chemins naissants de ta force future !

Mourir… m’évader de cette solitude,
De ce moi qui tient ma richesse captive
Pour te rejoindre, ô soif qui cherche, l’eau vive,
Et calmer à ton besoin ma plénitude…

Bois. Jusqu’à tes os je ruisselle et j’écoute
Quand le lait heureux chemine en toi, cher être,
Un peu de moi dans tes veines disparaître,
Un peu de moi qui devient toi goutte à goutte.

J’écoute. J’entends dans ma gorge profonde
Que la clarté du lait qui sourd illumine,
Ne parle pas, Adam ! Adam ! je devine
Où passait la joie en s’en venant au monde.

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Commentaires

  1. Abel, mon compagnon, accepte un peu de bière !
    Car, depuis bien des jours, tu n'en as pas repris ;
    Pourtant c'est un plaisir qui toujours vaut son prix,
    L'homme qui a bien bu aime la terre entière.

    Abel, mon doux frangin, prends un peu de gruyère !
    Le mangeur de fromage est gai comme un cabri ;
    Il oublie la fatigue, il oublie le ciel gris,
    Et que l'homme est un corps qui retombe en poussière.

    Abel, tu ne bois pas, et tu ne manges rien,
    Mais tu devrais, pourtant, puisque c'est pour ton bien,
    Je fais tous mes efforts... ah, vraiment, ça me navre.

    Or, Caïn continue à être prévenant,
    Cela fait quelque temps qu'il parle, maintenant ;
    Abel ne répond rien, ce n'est que son cadavre.

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