Au Roi. Étrenne
Le dessein que j’avais de saluer le Roi,
Et de lui faire un don de mes vers et de moi,
D’une vieille coutume aux présents ordonnée,
Attendait que le temps recommençât l’année.
Mais mon juste devoir ne s’est pu retenir,
Je trouve que ce jour est trop long à venir,
Et ce n’est point ici le temps, ni la coutume,
A qui je donne loi de gouverner ma plume.
Quelque jour de l’année où je respire l’air,
C’est de ce fils des dieux de qui je dois parler.
Mon âme en adorant à cet objet s’arrête,
Et mon esprit en fait mon travail et ma fête.
Tout ce que la nature a de rare et de beau,
Ce qui vit au Soleil, qui dort dans le tombeau,
Tout ce que peut le Ciel pour obliger la terre,
Les plaisirs de la paix, les vertus de la guerre,
Les roses, les rochers, les ombres, les ruisseaux,
Le murmure des vents et le bruit des oiseaux,
Le vêtement d’Iris et le teint de l’Aurore,
Les attraits de Vénus ni les douceurs de Flore,
Tout ce que tous nos dieux ont de cher et de doux,
Grand Prince, ne peut point se comparer à vous.
César auprès de vous perd ce renom d’Auguste,
Mars celui de vaillant, Thémis celui de juste.
La vertu n’eut jamais des mouvements si saints
Qu’elle en a rencontré dans vos heureux desseins :
C’est par où dans nos cœurs son amitié s’imprime,
C’est pour l’amour de vous que nous quittons le crime.
L’exemple de vos mœurs force plus que la loi,
Et votre sainte vie autorise la foi.
Lorsque ces grands desseins, à qui l’Europe entière,
Pour un mois d’exercice, était peu de matière,
Furent mis au tombeau du plus vaillant héros
Dont le sein de la terre ait jamais eu les os,
La vertu s’en allait, mais vous l’avez suivie,
Et, retenant de lui la couronne et la vie,
Il vous plut d’arrêter avecque vous aussi
Les belles qualités qui l’honoraient ici.
Je croyais l’univers perdu dans cette perte,
Que la terre après lui demeurerait déserte,
Que l’air serait toujours de tempête animé,
Que le Ciel dans l’enfer se verrait abîmé,
Et que les éléments, sans ordre et sans lumière,
Reviendraient en l’horreur de la masse première.
Sa gloire allait du pair avec les immortels,
Et pour lui tous nos cœurs n’étaient que des autels ;
Tous les peuples chrétiens l’avaient fait leur arbitre,
Jamais autre que lui ne posséda ce titre ;
Sa vertu lui gagna tous ces noms glorieux,
Que notre fantaisie accorde aux demi-dieux.
Les plus grands rois trouvaient du mérite à lui plaire :
Tout aimait sa faveur, tout craignait sa colère.
Ainsi que ce Soleil, penchant vers le tombeau,
Jetait sur l’univers l’oeil plus grand et plus beau,
Sa valeur, trop longtemps honteusement oisive,
Méditait d’arracher son myrte et son olive.
Le bruit de ses desseins par l’Europe volait,
Chacun de ses projets différemment parlait,
Tous les rois ses voisins pendaient sur la balance,
Egalement douteux où fondrait sa vaillance.
Son courage riait de voir que la terreur
Se mêlait parmi tous dans leur confuse erreur.
Son bien s’allait borner de la terre et de l’onde.
Et, sans vous, c’eût été le plus grand roi du monde.
Que sans vous son trépas eût causé de malheurs !
Qu’il nous eût fait verser et de sang et de pleurs !
Mais, grâce au Roi des cieux, tout prévoyant et sage,
Dont vous êtes ici la plus parfaite image,
Nous sommes consolés, et le même cercueil
Qui enferma ses os, renferma son deuil.
Les arts et les plaisirs, les autels et les armes,
Ont presque du regret d’avoir jeté des larmes.
Quel de tous les plus grands et des plus braves rois,
Assure mieux que vous l’autorité des lois ?
Votre empire nous sait si doucement contraindre,
Que les plus libertins ont plaisir à vous craindre ;
L’âme la plus sauvage a pour vous de l’amour ;
Quel si grand roi n’est point jaloux de votre Cour ?
Et les dieux, contemplant votre adorable vie,
Si vous n’étiez leur fils, vous porteraient envie.
Le Soleil est ravi quand son oeil vous reluit,
Et ne voudrait jamais de repos ni de nuit :
Ses rayons n’aiment point à chasser le nuage
Que pour n’être empêchés de vous voir au visage ;
C’est pour l’amour de vous qu’il bâtit ses maisons,
Qu’il rompit le chaos, qu’il changea les saisons,
Qu’il nous fit discerner le ciel d’avecque l’onde,
Et mit le grand éclat de la lumière au monde.
Pour vous son feu s’occupe à ce métal pesant,
Partout dedans le Louvre à vos yeux reluisant ;
Pour vous sa fantaisie, en nos vergers errante,
Forme le gris de lin, l’orangé, l’amarante,
Et sachant que vos yeux se plaisent aux couleurs,
Il vous peint son amour dans la face des fleurs.
Que cet astre fut gai quand, aux rives de Loire,
Il vit les monuments gravés pour votre gloire !
Sentant que sont devoir touchait votre grandeur,
Il n’éclaira jamais avecque tant d’ardeur,
Et reçut comme encens l’honorable fumée
Que le canon donnait à votre renommée.
Le fleuve de son lit alors fit un cercueil,
Qui de vos ennemis fut le sanglant accueil,
Et redoubla ses pas pour conter à Neptune
Ce que votre vertu fit faire à la Fortune.
Neptune, réjoui de vos succès heureux,
Rendit de votre nom tous ses flots amoureux ;
Et, d’un char empenné fendant ses routes calmes,
Vint planter sur ses bords une forêt de palmes.
Et le Ciel, glorieux d’un si juste bonheur,
Avec affection fit fête à votre honneur.
Mars n’a point fait encore une si belle proie,
Et vante ce jour-là plus que la nuit de Troie,
Voyant votre jeunesse en nos sanglants combats,
Dans le sein du péril rechercher ses ébats.
Que nous eûmes de peur qu’un excès de courage
Ne vous mît au hasard d’un général naufrage !
Béni soit ce grand Dieu qui, d’un soin paternel
Garde à votre génie un bonheur éternel !
Il a fait vil, pour vous, ce que la terre admire,
Et n’a pas mieux fondé le ciel que votre empire.
Ce sage et grand esprit, que votre saint désir,
Pour le salut commun, nous a daigné choisir,
Ce grand Duc nous fait voir avec trop d’assurance
Que le destin du Ciel est celui de la France,
Que vos plus grands desseins arrivent à leur port,
Et que vous et les dieux n’avez qu’un même sort.
On dit que ce grand siège où tous les dieux reposent,
Et, d’un conseil secret, de nos desseins disposent,
Ce grand pourpris d’azur d’où mille flambeaux
Eclatent à nos yeux si puissants et si beaux,
Eut autrefois besoin qu’un mortel prît l’audace
De se charger du faix de sa pesante masse :
Atlas s’aventura de soutenir les cieux,
Autrement la nature eût vu tomber les dieux.
Ce n’est point qu’en effet la céleste machine
Se trouvât quelquefois proche de sa ruine,
Ni que jamais un homme, à notre sort pareil,
Ait pénétré les airs, ni touché le Soleil :
Cette fable, au vrai sens que la raison lui donne,
Nous enseigne qu’Atlas eut la trempe si bonne,
Et l’esprit si hardi, qu’il osa s’élever
Jusqu’où mortel que lui ne pouvait arriver :
Il savait les secrets d’Iris et du tonnerre,
Et comme chaque étoile a pouvoir sur la terre ;
L’univers le croyait son général appui,
Et plusieurs potentats se reposaient sur lui.
La nature y reprit une vertu seconde ;
Le destin lui laissa la conduite du monde,
Et les dieux par plaisir mirent entre ses mains
L’inévitable droit qu’ils ont sur les humains.
Grand Roi, vous avez fait un ciel de votre empire ;
Il eut un bon Atlas, le vôtre n’est pas pire ;
Et chacun voit assez qu’en sa comparaison,
Votre amitié s’accorde avecque la raison.
Tant que votre faveur éclaire à ses pensées,
Nos fortunes ne sont d’aucun deuil menacées.
Quoi que les factieux retrament de nouveau,
Leurs complots en naissant trouveront leur tombeau ;
Et vous verrez toujours durer la couronne,
La paix qu’à votre esprit votre innocence donne.
Ainsi fasse le Ciel, et jamais son courroux
N’approche aucun danger ni de lui ni de vous !
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