Poème 'L’obélisque de Luxor' de Théophile GAUTIER dans 'Émaux et Camées'

L’obélisque de Luxor

Théophile GAUTIER
Recueil : "Émaux et Camées"

Je veille, unique sentinelle
De ce grand palais dévasté,
Dans la solitude éternelle,
En face de l’immensité.

A l’horizon que rien ne borne,
Stérile, muet, infini,
Le désert sous le soleil morne,
Déroule son linceul jauni.

Au-dessus de la terre nue,
Le ciel, autre désert d’azur,
Où jamais ne flotte une nue,
S’étale implacablement pur.

Le Nil, dont l’eau morte s’étame
D’une pellicule de plomb,
Luit, ridé par l’hippopotame,
Sous un jour mat tombant d’aplomb ;

Et les crocodiles rapaces,
Sur le sable en feu des îlots,
Demi-cuits dans leurs carapaces,
Se pâment avec des sanglots.

Immobile sur son pied grêle,
L’ibis, le bec dans son jabot,
Déchiffre au bout de quelque stèle
Le cartouche sacré de Thot.

L’hyène rit, le chacal miaule,
Et, traçant des cercles dans l’air,
L’épervier affamé piaule,
Noire virgule du ciel clair.

Mais ces bruits de la solitude
Sont couverts par le bâillement
Des sphinx, lassés de l’attitude
Qu’ils gardent immuablement.

Produit des blancs reflets du sable
Et du soleil toujours brillant,
Nul ennui ne t’est comparable,
Spleen lumineux de l’Orient !

C’est toi qui faisais crier : Grâce !
A la satiété des rois
Tombant vaincus sur leur terrasse,
Et tu m’écrases de ton poids.

Ici jamais le vent n’essuie
Une larme à l’oeil sec des cieux.
Et le temps fatigué s’appuie
Sur les palais silencieux.

Pas un accident ne dérange
La face de l’éternité ;
L’Égypte, en ce monde où tout change,
Trône sur l’immobilité.

Pour compagnons et pour amies,
Quand l’ennui me prend par accès,
J’ai les fellahs et les momies
Contemporaines de Rhamsès ;

Je regarde un pilier qui penche,
Un vieux colosse sans profil
Et les canges à voile blanche
Montant ou descendant le Nil.

Que je voudrais comme mon frère,
Dans ce grand Paris transporté,
Auprès de lui, pour me distraire,
Sur une place être planté !

Là-bas, il voit à ses sculptures
S’arrêter un peuple vivant,
Hiératiques écritures,
Que l’idée épelle en rêvant.

Les fontaines juxtaposées
Sur la poudre de son granit
Jettent leurs brumes irisées ;
Il est vermeil, il rajeunit !

Des veines roses de Syène
Comme moi cependant il sort,
Mais je reste à ma place ancienne,
Il est vivant et je suis mort !

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Commentaires

  1. Gardienne du sanctuaire
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    Une gardienne, en sentinelle,
    Hante ce temple dévasté ;
    Surveillant l'amphore éternelle
    Venant d'une autre immensité.

    Des jardins sont perdues les bornes,
    lls peuvent sembler infinis ;
    Leurs arbres sont bien gris et mornes,
    Porteurs d'un feuillage jauni.

    Veille toujours, vestale nue,
    Tremblante sous le bel azur ;
    Ton coeur s'envole dans les nues
    Pour rencontrer les anges purs.

  2. La planète des singes de gueules
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    J'ai deux lunes pour sentinelles,
    Astres par des chats habités ;
    Des singes la danse éternelle
    Agite mon immensité.

    Singes toujours passant les bornes,
    Pour s'évader dans l'infini ;
    Leur entretien n'est jamais morne,
    Ils rient sous le soleil jauni.

    Moi, je suis leur planète nue,
    Leur désert de sable et d'azur ;
    Mon atmosphère est bien ténue,
    Mais elle est composée d'air pur.

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