Poème 'La Pythie' de Paul VALÉRY dans 'Charmes'

La Pythie

Paul VALÉRY
Recueil : "Charmes"

A Pierre Louys.

Hoec effata silet; pallor simul occupat ora.
Virgile, AEn, IV.

La Pythie, exhalant la flamme
De naseaux durcis par l’encens,
Haletante, ivre, hurle!… l’âme
Affreuse, et les flancs mugissants!
Pâle, profondément mordue,
Et la prunelle suspendue
Au point le plus haut de l’horreur,
Le regard qui manque à son masque
S’arrache vivant à la vasque,
À la fumée, à la fureur!

Sur le mur, son ombre démente
Où domine un démon majeur,
Parmi l’odorante tourmente
Prodigue un fantôme nageur,
De qui la transe colossale,
Rompant les aplombs de la salle,
Si la folle tarde à hennir,
Mime de noirs enthousiasmes,
Hâte les dieux, presse les spasmes
De s’achever dans l’avenir!

Cette martyre en sueurs froides,
Ses doigts sur mes doigts se crispant,
Vocifère entre les ruades
D’un trépied qu’étrangle un serpent:
-Ah! maudite!.. Quels maux je souffre!
Toute ma nature est un gouffre!
Hélas! Entr’ouverte aux esprits,
J’ai perdu mon propre mystère!…
Une Intelligence adultère
Exerce un corps qu’elle a compris!

Don cruel! Maître immonde, cesse
Vite, vite, ô divin ferment,
De feindre une vaine grossesse
Dans ce pur ventre sans amant!
Fais finir cette horrible scène!
Vois de tout mon corps l’arc obscène
Tendre à se rompre pour darder,
Comme son trait le plus infâme,
Implacablement au ciel l’âme
Que mon sein ne peut plus garder!

Qui me parle, à ma place même?
Quel écho me répond: Tu mens!
Qui m’illumine?… Qui blasphème?
Et qui, de ces mots écumants,
Dont les éclats hachent ma langue,
La fait brandir une harangue
Brisant la bave et les cheveux
Que mâche et trame le désordre
D’une bouche qui veut se mordre
Et se reprendre ses aveux?

Dieu! Je ne me connais de crime
Que d’avoir à peine vécu!…
Mais si tu me prends pour victime
Et sur l’autel d’un corps vaincu
Si tu courbes un monstre, tue
Ce monstre, et la bête abattue,
Le col tranché, le chef produit
Par les crins qui tirent les tempes,
Que cette plus pâle des lampes
Saisisse de marbre la nuit!

Alors, par cette vagabonde
Morte, errante, et lune à jamais,
Soit l’eau des mers surprise, et l’onde
Astreinte à d’éternels sommets!
Que soient les humains faits statues,
Les coeurs figés, les âmes tues,
Et par les glaces de mon oeil,
Puisse un peuple de leurs paroles
Durcir en un peuple d’idoles
Muet de sottise et d’orgueil!

Eh! Quoi!… Devenir la vipère
Dont tout le ressort de frissons
Surprend la chair que désespère
Sa multitude de tronçons!…
Reprendre une lutte insensée!…
Tourne donc plutôt ta pensée
Vers la joie enfuie, et reviens,
Ô mémoire, à cette magie
Qui ne tirait son énergie
D’autres arcanes que des tiens!

Mon cher corps… Forme préférée,
Fraîcheur par qui ne fut jamais
Aphrodite désaltérée,
Intacte nuit, tendres sommets,
Et vos partages indicibles
D’une argile en îles sensibles,
Douce matière de mon sort,
Quelle alliance nous vécûmes,
Avant que le don des écumes
Ait fait de toi ce corps de mort!

Toi, mon épaule, où l’or se joue
D’une fontaine de noirceur,
J’aimais de te joindre ma joue
Fondue à sa même douceur!…
Ou, soulevés à mes narines,
Les mains pleines de seins vivants,
Entre mes bras aux belles anses
Mon abîme a bu les immenses
Profondeurs qu’apportent les vents!

Hélas! ô roses, toute lyre
Contient la modulation!
Un soir, de mon triste délire
Parut la constellation!
Le temple se change dans l’antre,
Et l’ouragan des songes entre
Au même ciel qui fut si beau!
Il faut gémir, il faut atteindre
Je ne sais quelle extase, et ceindre
Ma chevelure d’un lambeau!

Ils m’ont connue aux bleus stigmates
Apparus sur ma pauvre peau;
Ils m’assoupirent d’aromates
Laineux et doux comme un troupeau;
Ils ont, pour vivant amulette,
Touché ma gorge qui halète
Sous les ornements vipérins;
Étourdie, ivre d’empyreumes,
Ils m’ont, au murmure des neumes,
Rendu des honneurs souterrains.

Qu’ai-je donc fait qui me condamne
Pure, à ces rites odieux?
Une sombre carcasse d’âne
Eût bien servi de ruche aux dieux!
Mais une vierge consacrée,
Une conque neuve et nacrée
Ne doit à la divinité
Que sacrifice et que silence,
Et cette intime violence
Que se fait la virginité!

Pourquoi, Puissance Créatrice,
Auteur du mystère animal,
Dans cette vierge pour matrice,
Semer les merveilles du mal!
Sont-ce les dons que tu m’accordes?
Crois-tu, quand se brisent les cordes,
Que le son jaillisse plus beau?
Ton plectre a frappé sur mon torse,
Mais tu ne lui laisses la force
Que de sonner comme un tombeau!

Sois clémente, sois sans oracles!
Et de tes merveilleuses mains,
Change en caresses les miracles,
Retiens les présents surhumains!
C’est en vain que tu communiques
À nos faibles tiges, d’uniques
Commotions de ta splendeur!
L’eau tranquille est plus transparente
Que toute tempête parente
D’une confuse profondeur!

Va, la lumière la divine
N’est pas l’épouvantable éclair
Qui nous devance et nous devine
Comme un songe cruel et clair!
Il éclate!… Il va nous instruire!…
Non!… La solitude vient luire
Dans la plaie immense des airs
Où nulle pâle architecture,
Mais la déchirante rupture
Nous imprime de purs déserts!

N’allez donc, mains universelles,
Tirer de mon front orageux
Quelques suprêmes étincelles!
Les hasards font les mêmes jeux!
Le passé, l’avenir sont frères
Et par leurs visages contraire
Une seule tête pâlit
De ne voir où qu’elle regarde
Qu’une même absence hagarde
D’îles plus belles que l’oubli.

Noirs témoins de tant de lumières
Ne cherchez plus… Pleurez, mes yeux!
Ô pleurs dont les sources premières
Sont trop profondes dans les cieux!…
Jamais plus amère demande!…
Mais la prunelle la plus grande
De ténèbres se doit nourrir!…
Tenant notre race atterrée,
La distance désespérée
Nous laisse le temps de mourir!

Entends, mon âme, entends ces fleuves!
Quelles cavernes sont ici?
Est-ce mon sang?… Sont-ce les neuves
Rumeurs des ondes sans merci?
Mes secrets sonnent leurs aurores!
Tristes airains, tempes sonores,
Que dites-vous de l’avenir!
Frappez, frappez, dans une roche,
Abattez l’heure la plus proche…
Mes deux natures vont s’unir!

Ô formidablement gravie,
Et sur d’effrayants échelons,
Je sens dans l’arbre de ma vie
La mort monter de mes talons!
Le long de ma ligne frileuse
Le doigt mouillé de la fileuse
Trace une atroce volonté!
Et par sanglots grimpe la crise
Jusque dans ma nuque où se brise
Une cime de volupté!

Ah! brise les portes vivantes!
Fais craquer les vains scellements
Épais troupeau des épouvantes,
Hérissé d’étincellements!
Surgis des étables funèbres
Où te nourrissaient mes ténèbres
De leur fabuleuse foison!
Bondis, de rêves trop repue,
Ô horde épineuse et crépue,
Et viens fumer dans l’or, Toison!

*

Telle, toujours plus tourmentée,
Déraisonne, râle et rugit
La prophétesse fomentée
Par les souffles de l’or rougi.
Mais enfin le ciel se déclare!
L’oreille du pontife hilare
S’aventure vers le futur:
Une attente sainte la penche,
Car une voix nouvelle et blanche
Échappe de ce corps impur.

*

Honneur des Hommes, Saint LANGAGE,
Discours prophétique et paré,
Belles chaînes en qui s’engage
Le dieu dans la chair égaré,
Illumination, largesse!
Voici parler une Sagesse
Et sonner cette auguste Voix
Qui se connaît quand elle sonne
N’être plus la voix de personne
Tant que des ondes et des bois!

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Commentaires

  1. Sagesse mandrykienne
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    Du Concombre n’est pas la fine âme étourdie,
    Monté sur son enclume, il traverse les cieux ;
    Il atteint l’arc-en-ciel, on ne peut faire mieux,
    Sa main garde le cap, et n’est pas engourdie.

    Tu dis que sa légende est une parodie ?
    Elle est pourtant prisée des hommes et des dieux ;
    Ce légume masqué nous en met plein les les yeux,
    Lui dont la bonne humeur n’est jamais refroidie.

    Quand je lis ses albums, au soir, à la chandelle,
    Sur ce noble héros je veux prendre modèle ;
    J’aimerais partager ses étranges savoirs.

    L’enclume, je le sais, finit par redescendre,
    Ainsi l’avait prévu la sagace Cassandre ;
    Mais avec un échec cela n’a rien à voir.

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Paul VALÉRY

Portait de Paul VALÉRY

Ambroise Paul Toussaint Jules Valéry est un écrivain, poète, philosophe et épistémologue français, né à Sète (Hérault) le 30 octobre 1871 et mort à Paris le 20 juillet 1945. Né d’un père d’origine corse et d’une mère génoise, Paul Valéry entame ses études à Sète (alors orthographiée Cette) chez les... [Lire la suite]

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