Le Piano
Tant pis, j’aime le piano!
Mon maître, au fond de la Scythie
Fort connu, comme à Landerneau,
Aimait l’araignée et l’ortie.Et pourquoi? Parce qu’on les hait.
Pour moi, j’aime, épris de chimères,
Le piano, parce qu’il est
Plus haï que les belles-mères.Un rayon sur mon front a lui,
Lorsque l’heure du thé ramène
Ce monstre, affreux comme celui
Du long récit de Théramène.Devant les dames à turban,
A ses voeux j’aime à condescendre,
Quand sa croupe se recourbe en
Replis de bois de palissandre.N’ayant pas tremblé pour si peu,
Je supporte ses airs farouches
Et même, le terrible jeu
De ses dents, qu’on nomme: des touches.Eh! oui, le piano, Meyer
Beer admettait cet ustensile,
Et c’est pourquoi Ernest Reyer
Me semble un peu trop difficile.Implorant les cieux parfois sourds
Où passent des guerriers équestres,
J’en conviens, je n’ai pas toujours
Sous ma main de puissants orchestres.Or, pour oublier les méchants
Si, pâle et l’oeil de pleurs humide,
J’ai besoin d’entendre les chants
Célestes d’Orphée ou d’Armide, –O Vérité, sors de ton puits!
Lorsque ce désir fou m’étrangle,
Dis-nous cependant si je puis
Me les jouer sur le triangle!4 août 1888.
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Théodore de BANVILLE
Etienne Jean Baptiste Claude Théodore Faullain de Banville, né le 14 mars 1823 à Moulins (Allier) et mort le 13 mars 1891 à Paris, est un poète, dramaturge et critique français. Célèbre pour les « Odes funambulesques » et « les Exilés », il est surnommé « le poète du... [Lire la suite]
Emile Nelligan : "Vieux piano"
*
L'âme ne frémit plus chez ce vieil instrument ;
Son couvercle baissé lui donne un aspect sombre ;
Relégué du salon, il sommeille dans l'ombre
Ce misanthrope aigri de son isolement.
*
Je me souviens encor des nocturnes sans nombre
Que me jouait ma mère, et je songe, en pleurant,
À ces soirs d'autrefois - passés dans la pénombre,
Quand Liszt se disait triste et Beethoven mourant.
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Ô vieux piano d'ébène, image de ma vie,
Comme toi du bonheur ma pauvre âme est ravie,
Il te manque une artiste, il me faut L'Idéal ;
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Et pourtant là tu dors, ma seule joie au monde,
Qui donc fera renaître, ô détresse profonde,
De ton clavier funèbre un concert triomphal ?
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http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/emile_nelligan/vieux_piano.html