Poème 'Ne me fais point aimer avecque tant de peine…' de Théophile de VIAU dans 'Œuvres poétiques - Seconde partie'

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Ne me fais point aimer avecque tant de peine…

Théophile de VIAU
Recueil : "Œuvres poétiques - Seconde partie"

Ne me fais point aimer avecque tant de peine,
Dedans ma passion garde-moi l’âme saine,
Tiens le plaisir des vers dans la fureur d’amour,
Si j’ai souffert la nuit console-moi le jour,
Quand tu m’auras blessé permets que je soupire,
Et quand j’ai soupiré permets-moi de l’écrire.
Ce beau feu si subtil qui pour nous faire aimer
Vient dedans notre sang afin de l’animer,
S’il est trop violent et s’il a trop de flamme
Il affaiblit le corps, il éblouit notre âme;
Mais lorsqu’à petits traits le cœur en est épris,
Il nous rend meilleurs les corps et les esprits.
Ainsi qui n’est saisi de cette rage extrême,
Qui prend la liberté de savoir ce qu’il aime,
Qui s’en fait obliger et ne se laisse pas
Abuser sottement à de légers appas,
Avec peu de travail il a bientôt sa proie,
Et de peu de soupirs il achète sa joie.
Ainsi dans le tourment il trouve le bonheur,
Et dans la servitude il fait venir l’honneur.
Parfois sa passion se tient un peu cachée
Pour avoir le plaisir de se voir recherchée,
Et s’il veut consentir de se voir maltraité,
Ce n’est que pour le bien d’être après regretté.
Moi qui toute la nuit offusqué de tes charmes
Les pavots du sommeil ai distillés en larmes,
Et qui m’imaginant d’ouïr tes doux propos,
N’ai su prendre en dormant tant soit peu de repos,
Je mériterais bien que toute la journée
On flattât la douleur que la nuit m’a donnée,
Et que Cloris vînt faire avecque un doux baiser
De ses afflictions mon âme reposer.
On dit que le Soleil sortant du sein de l’onde
Pour rendre l’exercice et la lumière au monde,
Dissipe à son réveil cette confuse erreur
Des songes de la nuit qui nous faisaient horreur;
Mais quand nous guérissons à l’aspect de sa flamme,
Ces petites frayeurs ne percent point dans l’âme,
Ce n’est qu’un peu de bile et de froide vapeur
Qui peint légèrement des visions de peur,
Car une passion bien avant imprimée
Ne s’évanouit pas ainsi qu’une fumée,
Et ceux qui comme moi sont travaillés d’Amour
Gardent leur rêverie et la nuit et le jour.
Cloris est le Soleil dont la clarté puissante
Console à son regard mon âme languissante,
Ecarte mes ennuis, dissipe à son abord
Le chagrin de la vie et la peur de la mort.
Mais depuis peu de jours sa flamme est si tardive,
Pour être comme elle est si perçante et si vive,
Que l’ingrate me laisse à petit feu mourir,
Faute d’un seul regard qui me pourrait guérir.
Donne-moi la raison d’une amitié si lente;
Cloris, aurais-tu peur que mon âme insolente
Offrît à ta beauté qu’un’ vœu respectueux?
Mes désirs sont ardents, mais ils sont vertueux,
Et ce plaisir lascif où le brutal aspire,
N’est pas le mouvement du feu que je soupire.
J’aime à te regarder et d’être tout un jour
Mourant auprès de toi sans te parler d’amour,
Si ce n’est que mes yeux, au desçu de mon âme,
Fassent étinceler quelque rayon de flamme,
Et que mon cœur, surpris de trop de passion,
Lâche quelque soupir sans mon intention.
Mon pauvre esprit captif craint si fort ta colère
Qu’il n’ose hasarder même de te complaire.
J’aime mieux me fâcher de n’avoir point osé
Que mourir dans l’affront de me voir refusé,
Car nier quelque chose à mon désir fidèle
Ce serait me donner une douleur mortelle,
Et de regret contraint de me désespérer,
Je perdrais le plaisir que j’ai de t’adorer.
Il vaut mieux vivre encore en cette incertitude
A quoi que le destin garde ma servitude.
Cependant cet amour me tient les sens ouverts
A la facilité de composer des vers,
J’en tire le plaisir de peindre en mon ouvrage
Tous les traits de mon âme et de ton beau visage,
Et leurs linéaments portraits dans mes écrits,
M’entretiennent toujours les yeux et les esprits.
Puisque le ciel t’a mis dedans la fantaisie
Le bonheur de goûter un peu ma poésie,
Tu verras mon génie à tes yeux complaisant,
T’en faire tous les jours quelque nouveau présent.
Ma passion destine une œuvre à ta louange
Qui te doit plaire mieux que les trésors du Gange,
Et lorsque mon travail te fait songer à moi
Je m’estime aussi riche et plus heureux qu’un roi.
Ce qu’on tient de fortune est une fausse pompe
Où notre infirmité se captive et se trompe,
Un jugement bien sain y sent peu de plaisir,
Et n’y soumet jamais son glorieux désir.
Ces métaux qu’un avare avidement enserre,
Comme indignes du jour sont cachés sous la terre.
Si les trésors étaient, comme on dit, précieux,
Cloris, les diamants nous tomberaient des cieux,
La perle descendrait avecque la rosée,
Elle ne serait point aux ondes exposée,
La mer qui la vomit la tiendrait chèrement,
La mer dont l’ambre même est comme un excrément,
Le Soleil qui fait l’or en aurait des couronnes.
Ainsi je ne veux point, Cloris, que tu me donnes,
Et tu sais bien aussi que je ne pense pas
Que de riches présents soient pour toi des appas,
Car un de mes soupirs que je te fais entendre,
Une goutte de pleurs que tu me vois répandre,
Peuvent plus sur ton âme et te font plus aimer
Que si je te donnais et la terre et la mer.
Je te proteste aussi de n’être point avare,
De tout ce que la mer et la terre ont de rare,
Et qu’un de tes regards me vaut mille fois mieux
Que le gouvernement de l’empire des cieux.

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Théophile de VIAU

Portait de Théophile de VIAU

Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]

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