Réflexion sérieuse de Mr S sur les murs de Troye
Stances
Phebus a tres-bonne raison
De se mettre en mestier pour mieux gagner sa vie ;
Je voudrois qu’il lui prît envie
De bâtir sur Parnasse une bonne maison :
Elle seroit fort de saison ;
Il est âgé, quoy qu’il en die,
Et sans l’excès de sa folieIl seroit déja tout grison.
Nous logeons tous à découvert :
On n’a jamais bâty, dessus nostre Montagne,
Que de beaux chasteaux en Espagne ;
Cependant un autheur, dont le front n’est couvert
Que d’un rameau de Laurier vert,
Dans le milieu d’une campagne,
Fût-il au Païs de Cocagne,
Est mal logé pour son hyver.Il est pourtant vray qu’autrefois
Cette incommodité nous donnoit peu de peine
Lors que l’eau de nostre fontaine
S’achetoit cherement des Princes et des Roys :
Nous avions lors et vin et bois,
Dont nous réchauffions nostre veine,
Et l’on avoit la pance pleine
Pour peu qu’on se rongeât les doits.Alors, tout d’une autre façon
Nous faisions raisonner les nerfs de nostre Lyre ;
Lors aussi nostre tirelire,
Pleine de quarts-d’écus, rendoit bien meilleur son ;
Il n’estoit de riche garçon
Qui ne reverât nostre Empire,
Et tout ce qui d’Amour soûpire
Nous payoit tribut ou rançon.Qu’un autheur seroit abusé,
Qui croiroit maintenant, par ses Vers pleins d’emphase
Et d’une belle periphrase,
Excroquer un teston du plus mal-avisé !
L’on est aujourd’huy si rusé,
Qu’on ne peut plus vendre Pegase :
Chacun se rit de sa peau rase
Et de son harnois tout usé.Croy-moy donc, Rimeur indigent :
Fais un autre mestier ; il t’y faut bien resoudre
Si tu veux avoir dequoy moudre ;
Sors d’entre ces lauriers qui te vont ombrageant ;
Ce bois sacré n’est pas d’argent ;
Il peut bien te garder du foudre
Qui reduit toute chose en poudre,
Mais non pas des mains d’un sergent.Regarde les Arts Liberaux
Et comment au travail un chacun d’eux s’applique :
Tu verras que l’Aritmetique
Travaille incessamment aux contoirs et bureaux ;
Tous les jours dedans les bareaux
On employe la Rhetorique :
Celle qui des Cieux s’alambique
Nous fait des almanacs nouveaux.Regarde enfin le Dieu des vers :
Quoy que communément paresseux on le croye,
Il n’a point honte qu’on le voye
Travailler aujourd’huy de cent mestiers divers :
Il est menuisier à Nevers,
Et pour bâtir les Murs de Troye
Il quitte son habit de soye,
Ou du moins le met à l’envers.
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Paul Scarron est un poète et écrivain français contemporain de Louis XIII né le 4 juillet 1610 à Paris, mort le 6 octobre 1660 à Paris. Issu de la noblesse de robe, septième enfant de Paul Scarron, conseiller au Parlement de Paris à la cour de comptes, et de Gabrielle Goguet, il entre dans les ordres en 1629. Il vit au Mans de... [Lire la suite]
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