Poème 'Requête de Théophile au Roi' de Théophile de VIAU dans 'Œuvres poétiques - Troisième partie'

Requête de Théophile au Roi

Théophile de VIAU
Recueil : "Œuvres poétiques - Troisième partie"

Au milieu de mes libertés,
Dans un plein repos de ma vie,
Où mes plus molles voluptés
Semblaient avoir passé l’envie,
D’un trait de foudre inopiné
Que jeta le ciel mutiné
Dessus le comble de ma joie,
Mes desseins se virent trahis,
Et moi d’un même coup la proie
De tous ceux que j’avais haïs.
Le visage des courtisans
Se peignit en cette aventure
Des couleurs dont les médisants
Voulurent peindre ma nature.
Du premier trait dont le malheur
Sépara mon destin du leur,
Mes amis changèrent de face:
Ils furent tous muets et sourds,
Et je ne vis en ma disgrâce
Rien que moi-même à mon secours.
Quelques faibles solliciteurs
Faisaient encore un peu de mine
D’arrêter mes persécuteurs
Sur le penchant de ma ruine;
Mais en un péril si pressant
Leur secours fut si languissant
Et ma guérison si tardive
Que la raison me résolut
A voir si quelque étrange rive
M’offrirait un port de salut.
Je fus longtemps à desseigner
Où j’irais habiter la terre,
Et sur le point de m’éloigner
Mille peurs me faisaient la guerre;
Car le Soleil qui chaque jour
Fait si vite un si large tour,
Ne visite point de contrée
Où ces chefs de dissensions
Ne donnent aisément l’entrée
A quelqu’un de leurs espions.
Après cinq ou six mois d’erreurs,
Incertain en quel lieu du monde
Je pourrais rasseoir les terreurs
De ma misère vagabonde,
Une incroyable trahison
Me fit rencontrer ma prison
Où j’avais cherché mon asile:
Mon protecteur fut mon sergent.
O grand Dieu, qu’il est difficile
De courre avecque de l’argent!
Le billet d’un religieux,
Respecté comme des patentes,
Fit épier en tant de lieux
Le porteur des Muses errantes
Qu’à la fin deux méchant prévôts,
Fort grands voleurs, et très dévots,
Priant Dieu comme des apôtres,
Mirent la main sur mon collet,
Et tout disant leurs patenôtres,
Pillèrent jusqu’à mon valet.
A l’éclat du premier appas,
Eblouis un peu de la proie,
Ils doutèrent si je n’étais pas
Un faiseur de fausse monnoie.
Ils m’interrogeaient sur le prix
Des quadruples qu’on m’avait pris
Qui n’étaient pas au coin de France.
Lors il me prit un tremblement
De crainte que leur ignorance
Me jugeât prévôtablement.
Ils ne pouvaient s’imaginer
Sans soupçon de beaucoup de crimes,
Qu’on trouvât tant à butiner
Sur un simple faiseur de rimes;
Et quoique l’or fût bon et beau
Aussi bien au jour qu’au flambeau,
Il croyaient, me voyant sans peine
Quelque fonds qu’on me dérobât,
Que c’étaient des feuilles de chêne
Avec la marque du sabbat.
Ils disaient entre eux sourdement
Que je parlais avec la Lune,
Et que le Diable assurément
Etait auteur de ma fortune;
Que pour faire service à Dieu
Il fallait bien choisir un lieu
Où l’objet de leur tyrannie
Me fit sans cesse discourir
Du trépas plein d’ignominie
Qui me devait faire périr.
Sans cordon, jartières, ni gants,
Au milieu de dix hallebardes,
Je flattais des gueux arrogants
Qu’on m’avait ordonné pour gardes;
Et nonobstant chargé de fers
On m’enfonce dans les Enfers
D’une profonde et noire cave
Où l’on n’a qu’un peu d’air puant
Des vapeurs de la froide bave
D’un vieux mur humide et gluant.
Dedans ce commun lieu de pleurs
Où je me vis si misérable,
Les assassins et les voleurs
Avaient un trou plus favorable.
Tout le monde disait de moi
Que je n’avais ni foi ni loi,
Qu’on ne connaissait point de vice
Où mon âme ne s’adonnât,
Et quelque trait que j’écrivisse
C’était pis qu’un assassinat;
Qu’un saint homme de grand esprit,
Enfant du bienheureux Ignace,
Disait en chaire et par écrit
Que j’étais mort par contumace,
Que je ne m’étais absenté
Que de peur d’être exécuté
Aussi bien que mon effigie,
Que je n’étais qu’un suborneur,
Et que j’enseignais la magie
Dedans les cabarets d’honneur;
Qu’on avait bandé les ressorts
De la noire et forte machine
Dont le souple et vaste corps
Etend ses bras jusqu’à la Chine;
Qu’en France et parmi l’étranger
Ils avaient de quoi se venger
Et de quoi forger une foudre
Dont le coup me serait fatal
En dût-il coûter plus de poudre
Qu’il n’en perdirent à Vuital.
Que le gaillard Père Guérin
Qui tous les jours fait dans la chaise
Plus de leçons à Tabarin
Qu’à tous les clercs d’un diocèse,
Comme s’il eût bien disposé
Et terre et ciel à ma ruine,
Prêchait qu’à peu de jours de là
La justice humaine et divine
M’immolerait à Loyola;
Que par le sentiment chrétien
D’une charité volontaire,
Infinité de gens de bien
Avaient entrepris mon affaire,
Qu’on était si fort irrité
Qu’en dépit de la vérité
Que Jésus-Christ a tant aimée,
Pour les intérêts du clergé
On me voulait voir en fumée
Soudain que je serais jugé.
On emploie de par le Roi,
De la force et de l’artifice,
Comme si Lucifer pour moi
Eût entrepris sur la justice.
A Paris, soudain que j’y fus,
J’entendais par des bruits confus
Que tout était prêt pour me cuire,
Et je doutais avec raison
Si ce peuple m’allait conduire
A la Grève ou dans la prison.
Ici donc comme en un tombeau,
Troublé du péril où je rêve,
Sans compagnie et sans flambeau,
Toujours dans le discours de Grève,
A l’ombre d’un petit faux jour
Qui perce un peu l’obscure tour
Où les bourreaux vont à la quête,
Grand Roi, l’honneur de l’univers,
Je vous présente la requête
De ce pauvre faiseur de vers.
Je demande premièrement
Qu’on supprime ce grand volume
Qui brave trop insolemment
La captivité de ma plume,
Et que monsieur le cardinal,
Après m’avoir fait tant de mal,
Pour l’amour de Dieu se retienne:
Il va contre la charité,
Et choque une vertu chrétienne
Quand il choque ma liberté;
Qu’on remontre aux religieux
A qui mon nom semble un blasphème,
Que leur zèle est injurieux
De vouloir m’ôter le baptême;
Que les crimes qu’ils ont prêchés,
Inconnus aux plus débauchés,
Sont controuvés pour me détruire
Et sèment un subtil appas
Par où l’âme se peut instruire
Au vice qu’elle ne sait pas;
Que si ma plume avait commis
Tout le mal qu’ils vous font entendre,
La fureur de mes ennemis
M’aurait déjà réduit en cendre;
Que leurs écrits et leurs abois,
Qui déjà depuis tant de mois
Font la guerre à mon innocence,
M’auraient fait faire mon procès
Si dans ma plus grande licence
Je n’avais évité l’excès;
Que c’était un procédé nouveau,
Dont Ignace était incapable,
De fouiller l’air, la terre et l’eau
Pour rendre un innocent coupable;
Qu’autrefois on a pardonné
Ce carnaval désordonné
De quelques-uns de nos poètes
Qui se trouvèrent convaincus
D’avoir sacrifiés aux bêtes
Devant l’idole de Bacchus;
Qu’à mon exemple nos rimeurs
Ne prendront point ce privilège,
Et que mes écrits et mes mœurs
Ont en horreur le sacrilège;
Que mon confesseur soit témoin
Si je ne rends pas tout le soin
Qu’un bon chrétien doit à l’Eglise,
Et qu’on ne voit en aucun lieu
Qu’un vers de ma façon se lise
Qui soit au déshonneur de Dieu;
Que l’honneur, la pitié, le droit
Sont violés en ma poursuite,
Et que certain Père voudrait
N’avoir point empêché ma fuite,
Mais la honte d’avoir manqué
Ce qu’il a si fort attaqué,
Demande qu’on m’anéantisse
De peur que, me rendant au Roi,
Les marques de son injustice
Ne survivent avecque moi.
Juste Roi, protecteur des lois,
Vous sur qui l’équité se fonde,
Qui seul emportez sur les rois
Ce titre le plus beau du monde,
Voyez avec combien de tort
Votre justice sent l’effort
Du tourment qui me désespère:
En France on n’a jamais souffert
Cette procédure étrangère
Qui vous offense et qui me perd.
Si j’étais du plus vil métier
Qui s’exerce parmi les rues,
Si j’étais fils de savetier
Ou de vendeuse de morues,
On craindrait qu’un peuple irrité,
Pour punir la témérité
De celui qui me persécute,
Ne fît avec sédition
Ce que sa fureur exécute
En son aveugle émotion.
Après ce jugement mortel,
Où l’on a vu ma renommée
Et mon portrait sur leur autel
N’être plus qu’un peu de fumée,
Fallait-il chercher de nouveau
Les matières de mon tombeau?
Fallait-il permettre à l’envie
D’employer ses injustes soins
Pour faire ici languir ma vie
En l’attente des faux témoins?
Mais quelques peuples si lointains
Dont la nouvelle intelligence
Puisse accompagner les desseins
De leur cruelle diligence,
Que des lutins, des loups-garoux,
Obéissant à leur courroux,
Viennent ici pour me confondre,
Dieu, qui leur serrera la voix,
Pour mon salut fera répondre
La sainte majesté des lois.
Qui peut avoir assez de front,
Quels fols ont assez de licence
Pour ne se taire avec affront
A l’abord de mon innocence?
Et quoique la canaille ait dit
Pour l’argent ou pour le crédit
Dont on leur a jeté l’amorce,
Dans les mouvements de leurs yeux
On verra qu’ils parlent par force
Devant des juges et des dieux.
O grand Maître de l’univers,
Puissant auteur de la nature,
Qui voyez dans ces cœurs pervers
L’appareil de leur imposture,
Et vous, sainte Mère de Dieu,
A qui les noirs creux de ce lieu
Sont aussi clairs que les étoiles,
Voyez l’horreur où l’on m’a mis,
Et me développez des toiles
Dont m’ont enceint mes ennemis!
Sire, jetez un peu vos yeux
Sur le précipice où je tombe,
Saint image du Roi des cieux,
Rompez les maux où je succombe.
Si vous ne m’arrachez des mains
De quelques morgueurs inhumains
A qui mes maux donnent à vivre,
L’hiver me donnera secours:
En me tuant il me délivre
De mille trépas tous les jours.
Qu’il plaise à votre Majesté
De se remettre en la mémoire
Que parfois mes vers ont été
Les messagers de votre gloire,
Comme, pour accomplir mes vœux,
Encore aujourd’hui je ne veux
Ravoir ma liberté première
Que pour la mettre en ce devoir,
Et ne demande la lumière
Que pour l’honneur de vous revoir.
Dans ces lieux voués au malheur,
Le Soleil, contre sa nature,
A moins de jour et de chaleur
Que l’on n’en fait à sa peinture;
On n’y voit le ciel que bien peu,
On n’y voit ni terre ni feu,
On meurt de l’air qu’on y respire,
Tous les objets y sont glacés;
Si bien que c’est ici l’empire
Où les vivants sont trépassés.
Comme Alcide força la mort
Lorsqu’il lui fit lâcher Thésée,
Vous ferez, avec moins d’effort,
Chose plus grande et plus aisée.
Signez mon élargissement:
Ainsi de trois doigts seulement
Vous abattrez vingt et deux portes
Et romprez les barres de fer
De trois grilles qui sont plus fortes
Que toutes celles de l’Enfer.

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Théophile de VIAU

Portait de Théophile de VIAU

Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]

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