Eros (IV)
Ce n’est pas la justice qui tient la balance précise,
c’est toi, ô Dieu à l’envie indivise,
qui pèses nos torts,
et qui de deux coeurs qu’il meurtrit et triture
fais un immense coeur plus grand que nature,
qui voudrait encorgrandir… Toi, qui indifférent et superbe,
humilies la bouche et exaltes le verbe
vers un ciel ignorant…
Toi qui mutiles les êtres en les ajoutant
à l’ultime absence dont ils sont des fragments.
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Rainer Maria RILKE
Rainer Maria Rilke (de son nom patronymique René Karl Wilhelm Johann Josef Maria Rilke) est un écrivain autrichien, né le 4 décembre 1875 à Prague, mort le 30 décembre 1926 à Montreux, en Suisse. Il vécut à Veyras de 1921 à sa mort. Il est surtout connu comme poète, bien qu’il ait également écrit un roman, « Les... [Lire la suite]
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Nef des utopistes
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Cet équipage-là manoeuvre avec grand soin :
Ils voudraient découvrir la Terre de Justice.
C’est une île lointaine, ils en ont des témoins,
Où jamais l’innocent n’est conduit au supplice.
Ils font plaisir à voir, ces marins sans malice,
Ils ont tant de courage, ils s’égarent si loin
Qu’il faut bien qu’à leur sort un rêveur compatisse,
Car, de tels matelots, on en a bien besoin.
Ces errants font escale où le vent les dépose,
Aux souffles éoliens, jamais ils ne s’opposent,
Accueillant avec joie le grand soleil qui luit.
Ainsi vogue la nef en son audace extrême,
Vraiment, ce bel espoir ne sera pas détruit,
Car sa sérénité se nourrit d’elle-même.
Balance d’azur
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Sage est ton jugement, balance inanimée !
Tu dis ce qui est vrai, sans haine et sans amour,
À la gravitation tu as été formée
Pour annoncer les poids, la nuit comme le jour.
Tu peux tout soupeser, sauf, bien sûr, la fumée,
Tu renseignes la dame en ses légers atours ;
Tu ne dépares pas nos salles de séjour,
Même si tu t’y vois rarement réclamée.
Balance, tu nous viens d’une divinité
Qui jadis t’instruisit avec solennité
Et dont l’autel sacré refuse la paresse.
Qui soigne sa santé se tient à ton abord
Car en toute saison ton verdict l’intéresse,
Toi qui vins pour juger les vivants et les morts.
L’oiseau qui plane presque
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Ma voix par les humains fut toujours estimée,
Bien faite pour chanter des histoires d’amour ;
D’autres fois, l’assemblée, de rires animée,
Écoutait mes propos jusqu’au lever du jour.
Mon âme de cela n’est plus guère affamée,
Qui ne désire plus se répandre en discours ;
Les chemins que je suis sont de plus en plus courts,
La même promenade est souvent programmée.
Les oiseaux de jadis, que j’aimais imiter,
Prennent un long repos, sans doute illimité ;
Thanatos termina leurs joyeuses ivresses.
Mais tranquille je veille et tranquille je dors,
Mon âme a retrouvé le goût de la paresse ;
Mes bons copains m’ont dit que le silence est d’or.