Poème 'La chasse de l’aigle' de Charles-Marie LECONTE DE LISLE dans 'Poèmes tragiques'

La chasse de l’aigle

Charles-Marie LECONTE DE LISLE
Recueil : "Poèmes tragiques"

L ‘aigle noir aux yeux d’or, prince du ciel mongol,
Ouvre, dès le premier rayon de l’aube claire,
Ses ailes comme un large et sombre parasol.

Un instant immobile, il plane, épie et flaire.
Là-bas, au flanc du roc crevassé, ses aiglons
Érigent, affamés, leurs cous au bord de l’aire.

Par la steppe sans fin, coteau, plaine et vallons,
L’oeil luisant à travers l’épais crin qui l’obstrue,
Pâturent, çà et là, des hardes d’étalons.

L’un d’eux, parfois, hennit vers l’aube ; l’autre rue ;
Ou quelque autre, tordant la queue, allègrement,
Pris de vertige, court dans l’herbe jaune et drue.

La lumière, en un frais et vif pétillement,
Croît, s’élance par jet, s’échappe par fusée,
Et l’orbe du soleil émerge au firmament.

A l’horizon subtil où bleuit la rosée,
Morne dans l’air brillant, l’aigle darde, anxieux,
Sa prunelle infaillible et de faim aiguisée.

Mais il n’aperçoit rien qui vole par les cieux,
Rien qui surgisse au loin dans la steppe aurorale,
Cerf ni daim, ni gazelle aux bonds capricieux.

Il fait claquer son bec avec un âpre râle ;
D’un coup d’aile irrité, pour mieux voir de plus haut,
Il s’enlève, descend et remonte en spirale.

L’heure passe, l’air brûle. Il a faim. A défaut
De gazelle ou de daim, sa proie accoutumée,
C’est de la chair, vivante ou morte, qu’il lui faut.

Or, dans sa robe blanche et rase, une fumée
Autour de ses naseaux roses et palpitants,
Un étalon conduit la hennissante armée.

Quand il jette un appel vers les cieux éclatants,
La harde, qui tressaille à sa voix fière et brève,
Accourt, l’oreille droite et les longs crins flottants.

L’aigle tombe sur lui comme un sinistre rêve,
S’attache au col troué par ses ongles de fer
Et plonge son bec courbe au fond des yeux qu’il crève.

Cabré, de ses deux pieds convulsifs battant l’air,
Et comme empanaché de la bête vorace,
L’étalon fait dans l’ombre ardente de l’enfer.

Le ventre contre l’herbe, il fuit, et, sur sa trace,
Ruisselle de l’orbite excave un flux sanglant ;
Il fuit, et son bourreau le mange et le harasse.

L’agonie en sueur fait haleter son flanc ;
Il renâcle, et secoue, enivré de démence,
Cette grande aile ouverte et ce bec aveuglant.

Il franchit, furieux, la solitude immense,
S’arrête brusquement, sur ses jarrets ployé,
S’abat et se relève et toujours recommence.

Puis, rompu de l’effort en vain multiplié,
L’écume aux dents, tirant sa langue blême et rêche,
Par la steppe natale il tombe foudroyé.

Là, ses os blanchiront au soleil qui les sèche ;
Et le sombre Chasseur des plaines, l’aigle noir,
Retourne au nid avec un lambeau de chair fraîche,

Ses petits affamés seront repus ce soir.

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Commentaires

  1. Aigle d’inframonde
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    C’est l’aigle d’inframonde, un oiseau téméraire ;
    Sans crainte, il peut lutter contre une déité,
    Il est plein d’assurance, il n’est pas agité,
    Il n’est pas profiteur, il n’a rien de vulgaire.

    Du phénix infernal on le voit solidaire,
    Lui qui le feu d’en bas voit sans se démonter ;
    Comme il advient souvent, cet aigle est indompté,
    Pline le décrit mieux que je ne peux le faire.

    Alors, je l’aime bien, passereau que je suis,
    Et si des idéaux moins nobles je poursuis,
    Sa grandeur, sa fierté n’ont pour moi rien d’étrange.

    Or, si vous rencontrez cet aigle égal aux Dieux,
    Ou si vous entendez son rire glorieux,
    Faites-lui parvenir ma modeste louange.

  2. Michel Jaouen,

    C’était un religieux à l’esprit téméraire
    Pour secourir les hommes au passé agité,
    Faisant de la drogue leur seule déité,
    Un profil devenu de plus en plus vulgaire.

    Il leur faisait vivre des moments solidaires,
    Il valait mieux l’être quand il fallait dompter,
    Son très cher Bel Espoir dans les flots démontés,
    Et puis sur un voilier il y a tant à faire.

    Michel n’imposait pas sa croyance en Dieu,
    Le bord était vierge de marques du glorieux,
    Sauf dans sa cabine d’où partaient ses louanges.

    Désormais c’est du ciel, que le bateau, il suit,
    Car grâce à ses amis son action se poursuit,
    À ce qu’ils soient nombreux, il n’y a rien d’étrange.

    https://misquette.wordpress.com/2018/05/21/michel-jaouen/

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Charles-Marie LECONTE DE LISLE

Portait de Charles-Marie LECONTE DE LISLE

Charles Marie René Leconte de Lisle, né le 22 octobre 1818 à Saint-Paul dans l’Île Bourbon et mort le 17 juillet 1894 à Voisins, était un poète français. Leconte de Lisle passa son enfance à l’île Bourbon et en Bretagne. En 1845, il se fixa à Paris. Après quelques velléités lors des événements de 1848, il renonça... [Lire la suite]

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