Le rosaire des cloches
Les cloches dans leurs tours égrènent un rosaire
Mélancolique, par l’air d’une nuit d’été.
Or j’ai bu le poison aux yeux de la Beauté,
Et j’ai peine à ne pas crier sous ma misère.Ô lourd ciboire où le damné se désaltère !
Ô coupe d’or sanglant où dort l’eau du Léthé !…
Les cloches dans leurs tours égrènent un rosaire
Mélancolique, par l’air d’une nuit d’été.Dans le fleuve qui roule au pied du quai, l’eau claire
Semble me dire : » Ô pauvre homme déshérité,
Viens, tu seras heureux dans ton éternité. »
Mais les cloches là-bas tristement en colère,
Les cloches dans leurs tours égrènent un rosaire.II
Je devrais l’écouter, l’eau claire, cependant,
L’eau claire, paradis de l’immuable Rêve,
Où l’amour avec les sirènes de la grève
Met le calme éternel au fond du coeur ardent ;Et j’en pourrais chasser le souvenir mordant
De la Vie – autrefois – qui fut mauvaise et brève.
Je devrais l’écouter, l’eau claire, cependant,
L’eau claire, paradis de l’immuable Rêve.Je suis resté debout sur le seuil, regardant
Mon Soleil se coucher ; je sentais fuir la sève
Par ma blessure ouverte et s’écouler sans trêve ;
Et ce jourd’huy que l’Astre est mort à l’Occident,
Je devrais l’écouter, l’eau claire, cependant.III
Sans plaintes j’ai gravi de douloureux calvaires,
Car ici-bas il n’est pas de mal éternel,
Car j’oubliais la Terre et je pensais au Ciel,
En me courbant le long de ces chemins sévères ;Et j’ai pu quelquefois cueillir des primevères
Dans le sable à côté des ronces. – Solennel,
Sans plaintes j’ai gravi de douloureux calvaires
Car ici-bas il n’est pas de mal éternel.Mais ,j’ai goûté vraiment aux tristesses amères,
Le jour où, défaillant au gibet criminel,
La Femme m’a tendu l’éponge avec le fiel ;
Et depuis, refoulant de terribles colères,
Sans plaintes j’ai gravi de douloureux calvaires.IV
Ô Femme, ange mauvais, si tu m’entendais rire
Aux portes du Néant, rire en te maudissant,
Tu sentirais en toi se figer tout ton sang
Et flamber ton cerveau sous le fouet du délire.Par l’Enfer où je vais, n’essaie pas de lire
Dans mon âme, livre de haine éblouissant…
Ô Femme, ange mauvais, si tu m’entendais rire
Aux portes du Néant, rire en te maudissant.A l’heure de briser mon génie et ma lyre,
Devant l’oeuvre fatal, je recule impuissant,
Et doublement damné, plein d’un spectre effrayant,
Je mêle dans la mort le blasphème au martyre.
Ô Femme, ange mauvais, si tu m’entendais rire.V
Il s’est fait tendre et doux, le rosaire des cloches,
Et mon coeur ulcéré comprend ce qu’il me dit,
De la voix calme du séraphin au maudit,
Voix calme qui s’emplit sourdement de reproches.Un long frémissement court dans les arbres proches,
Et, comme un pardon lent qui jamais ne finit,
Il se fait tendre et doux, le rosaire des cloches,
Et mon coeur ulcéré comprend ce qu’il me dit.Je pardonne à la Femme, et debout sur les roches
J’écoute ce chant pur, ouaté comme un nid,
Ce chant dont chaque note est sainte et me bénit ;
Plein de pardons confus et de vagues reproches,
Il s’est fait tendre et doux, le rosaire des cloches.VI
Les cloches dans les tours ont cessé leur rosaire ;
De l’eau claire à pas lents je me suis éloigné.
D’une aurore lointaine et mystique baigné,
Je vois la lueur poindre en mon triste mystère.Et je renais de mon tombeau moins solitaire,
Car le sang fut fécond que mon coeur a saigné.
Les cloches dans les tours ont cesse leur rosaire ;
De l’eau claire à pas lents je me suis éloigné.Or la Nuit morne agonise ; l’Aube rose erre
Sur les lèvres du ciel ou les deuils ont régné.
Et voici refleurir ce que j’ai renié,
Et tout chante et tout rit de nouveau sur la terre ;
Les cloches dans les tours ont cessé leur rosaire.
Poème préféré des membres
Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.
Charles GUÉRIN
Charles Guérin, né le 29 décembre 1873 à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), où il est mort, le 17 mars 1907 est un poète français. Il appartient à une grande dynastie d’industriels lorrains, propriétaire de la célèbre Faïencerie de Lunéville-Saint-Clément, connue aussi sous le nom Keller et Guérin. Au sein de sa... [Lire la suite]
- Ce soir, sur le chemin sonore du coteau
- Sois pure comme la rosée
- Je t'apporte, buisson de roses funéraires
- Entrerai-je, ce soir, Seigneur, dans ta...
- Vous qui sur mon front, toute en larmes
- Le soir léger, avec sa brume claire et bleue
- Eté des vieilles joies
- Ah ! Seigneur, Dieu des coeurs robustes,...
- Ma douce enfant, ma pauvre enfant...
- Parfois, sur les confins du sommeil qui...
- Le lait des chats (5)
- Souvent, le front posé sur tes genoux... (2)
- L'amour nous fait trembler comme un jeune... (2)
- Ce coeur plaintif, ce coeur d'automne (2)
- Avant que mon désir douloureux soit comblé (2)
- Un soir, au temps du sombre équinoxe... (1)
- Ton image en tous lieux peuple ma solitude (1)
- Ton coeur est fatigué des voyages... (1)
- Le vent est doux comme une main de femme (1)
- La voix du soir (1)
Commentaires
Aucun commentaire
Rédiger un commentaire