Poème 'Les tréteaux' de ATOS

Les tréteaux

ATOS

Je n’avais de mes envies que peu de mérite.
Elles me venaient comme des étoupes de Lune qui viennent lorsque que l’on frotte la manche de son chandail sur des paupières de Bohême .
J’avais souvent faim pour le plaisir, souvent froid en plein désir.
Rien n’était vraiment à sa place. Je semblais de montage imparfait, un recueil d’erreurs fondamentales. J’aimais ce qui ne me convenait pas, rêvais sans même y penser, réfléchissais comme une épave prise dans sa vase.
J’étais adroit dans ma paresse, et estimais, sans aucune foi, ce qui me composait.

J’acquis, sans aucun commerce, la vilaine conscience d’appartenir à une troupe de comédiens qui subissait une mise en scène bâclée par quelque mauvais maître de ballet.
Les actes, un à un, prenaient place devant une rampe à laquelle chacun semblait vouloir s’accrocher. C’est ainsi que les hommes s’exécutaient .Je ne connaissais que ce théâtre, n’ayant il est vrai aucune appétence pour d’autres aventures.
Accessoiriste, en coulisses, je participais à tous les spectacles, veillant à l’enchaînement des tableaux, alors que chacun savait, avant même le premier grincement de planche, que tout cela ne produirait aucun effet…
Un chapeau en légende, une canne en promenade, une porte qui claque, un amant qui s’endort, la mort en chandail, deux ou trois avis perçants …Il semblait que tout avait été joué d’avance. Nous étions …désenchantés.
Rebondissement , convulsion des temps , reflet d’une intrigue si peu redoutable…
En un mot, le théâtre s’ennuyait.

Je ne sais laquelle de mes négligences, que j’appelais alors, en toute conscience « coup du sort », détraqua son partial rideau de fer. Impossible alors d »entrer en scène ! Impossible de vendre le moindre billet ! La clientèle, aimante et infidèle trouva très vite d’autres pieds sur lesquels danser.
La troupe affolée et décontenancée durant quelques jours, retrouva un jour de miracle, comme on en fabrique peu, ,et cela dans les cintres, l’instinct de sa dignité.
Les masques tombaient et les visages se découvraient.
La troupe quitta les loges, vida le foyer et partit sur la route, chargée de malles en papier et de paquet d’osier. Certains prirent des trains en carton, d’autre des navires d’acier, d’autres des chevaux de bois.
Le théâtre se retirait. Je coupais l’électricité. Et ne pris qu’une place au bout d’une rue.

Longues furent mes périodes d’errance, nombreuses mes réponses sans question. aucune vague ne passait la digue de mon âme.
En un mot ma vie se résumait.

Mais alors qu’un matin, j’allais sur les quais voir passer le ciel dans les reflets de la Seine, je vis s’installer une chose étrange. Colorée et incongrue. Rien ne semblait convenu. Tout semblait pourtant évident. Et je ris de ce que j’avais oublié de croire : Le spectacle était bel et bien à présent dans la rue :
des trams sur les trottoirs, démarches sur les boulevards, porches contre faces, de squares en foires, des journaux en croix, des tranchées oranges et noires, des passants qui clignotaient et des feus qui gisaient.
J’étais aux diables, et en un mot je m’y confiais : je m’amusais.
Depuis ce jour, je n’ai toujours rien à vous avouer, mais je ne les ai plus jamais quittés. Portant les tréteaux, de barricades en étables, parfois il m’arrive de repasser devant le grand théâtre.
Le rideau a été remplacé .D’autres pièces s’y sont jouées. D’autres farces, d’autres drames. Quelques troupes sont passées…
Quelle folie de toujours vouloir recommencer alors que pour bien finir, il suffit juste d’improviser.
Depuis ce jour, de mes envies j’en retire tout le mérite. J’ai faim sans doute mais j’ai plaisir à le dire : rien ne sert d’en mourir, si on ne sait que faire de vivre.

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