Poème 'Très humble requête de Théophile à Monseigneur le premier président' de Théophile de VIAU dans 'Œuvres poétiques - Troisième partie'

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Très humble requête de Théophile à Monseigneur le premier président

Théophile de VIAU
Recueil : "Œuvres poétiques - Troisième partie"

Privé de la clarté des cieux
Sous l’enclos d’une voûte sombre
Où les limites de mes yeux
Sont dans l’espace de mon ombre,
Dévoré d’un ardent désir
Qui soupire après le plaisir
Et la liberté de ma vie,
Je m’irrite contre le sort
Et ne veux plus mal à l’envie
Que d’avoir différé ma mort.
Plût au Ciel qu’il me fût permis,
Sans violer les droits de l’âme,
De me rendre à mes ennemis,
Et moi-même allumer ma flamme!
Que bientôt j’aurais évité
La honteuse captivité
Dont la force du temps me lie!
Aujourd’hui mes sens bienheureux
Verraient ma peine ensevelie
Dans un sépulcre généreux.
Mais ce grand Dieu qui fit nos lois,
Lorsqu’il régla nos destinées
Ne laissa point à notre choix
La mesure de nos années.
Quand nos astres ont fait leurs cours,
Et que la trame de nos jours
N’a plus aucun filet à suivre,
L’homme alors peut changer de lieu,
Et pour continuer de vivre
Ne doit mourir qu’avecque Dieu.
Aussi me puis-je bien vanter
Que dans l’horreur d’une aventure
Assez capable de tenter
La faiblesse de la nature,
Le Ciel, ami des innocents,
Fit voir à mes timides sens
Sa divinité si propice
Qu’encore j’ai toujours été
Sur le bord de mon précipice
D’un visage assez arrêté.
Il est vrai qu’au point d’endurer
Les affronts que la calomnie
M’a fait si longuement durer,
Ma constance se voit finie.
Dans ce sanglant ressouvenir
Celui qui veut me retenir
Il a ses passions trop lentes,
Et n’a jamais été battu
Des prospérités insolentes
Qui s’attaquent à la vertu.
Mais, ô l’erreur de mes esprits!
Dans le siècle infâme où nous sommes,
Tout ce déshonneur n’est qu’un prix
Pour passer le commun des hommes.
Combien de favoris de Dieu
Dans un plus misérable lieu
Ont senti de pires malices,
Et dans leurs innocentes mains,
Qui n’avaient que les Cieux complices,
Reçu des fers inhumains!
D’ailleurs l’épine est sous la fleur,
Le jour sort d’une couche noire;
Et que sais-je si mon malheur
N’est point la source de ma gloire?
Un jour mes ennuis effacés,
Dans mon souvenir retracés,
Seront eux-même leur salaire:
Toutes les choses ont leur tour,
Dieu veut souvent que la colère
Soit la marque de son amour.
Qui me pourra persuader
Que la Cour soit toujours charmée?
D’où la peut encore aborder
Le venin de la renommée?
Si Verdun ouvre un peu ses yeux
Quel esprit assez captieux
Pourra mordre à sa conscience?
De quel vent peut-on écumer
Dans ce grand gouffre de science
Pour n’y pas bientôt abîmer?
Grande lumière de nos jours,
Dont les projets sont des miracles,
Et de qui les communs discours
Ont plus de poids que les oracles,
Sainte guide de tant de dieux
Qui, sur le modèle des cieux,
Donnez des règles à la terre,
Dieu sans excès et sans défaut,
Vous avez ça-bas un tonnerre,
Comme en a ce grand Dieu là-haut.
Le Ciel par de si beaux crayons
Marque le fil de vos harangues
Qu’on y voit les mêmes rayons
Du grand trésor de tant de langues
Qu’il versa par le Saint-Esprit
Au disciples de Jésus-Christ.
Paris est jaloux que Toulouse
Ait eu devant lui tant d’honneur,
L’Europe est aujourd’hui jalouse
Que la France ait tout ce bonheur.
Quand je pense profondément
A vos vertus si reconnues,
Mon espoir prend un fondement
Qui l’élève au dessus des nues,
Je laisse reposer mes soins,
Les alarmes des faux témoins
Ne me donnent plus tant de crainte,
Et mon esprit tout transporté,
Au milieu de tant de contrainte,
Goûte à demi ma liberté.
C’est de vous sur tous que j’attends
A voir retrancher la licence
Qui fait habiter trop longtemps
La crainte avec l’innocence;
Et quand tout l’Enfer répandrait
Ses ténèbres sur mon bon droit,
Je sais que votre esprit éclate
Dans la plus noire obscurité,
Et que tout l’appas qui vous flatte
C’est la voix de la vérité.
Mais, ô l’honneur du Parlement!
Tout ce que j’écris vous offense
Puisqu’écrire ici seulement
C’est violer votre défense.
Mon faible esprit s’est débauché
A l’objet d’un si doux péché,
Et croit sa faute légitime,
Car la vertu doit avouer
Qu’elle-même est pis que le crime,
Si c’est crime que vous louer.

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Théophile de VIAU

Portait de Théophile de VIAU

Théophile de Viau, né entre mars et mai 1590 à Clairac et mort le 25 septembre 1626 à Paris, est un poète et dramaturge français. Poète le plus lu au XVIIe siècle, il sera oublié suite aux critiques des Classiques, avant d’être redécouvert par Théophile Gautier. Depuis le XXe siècle, Théophile de Viau est défini... [Lire la suite]

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