Poème 'Avril' de Théodore de BANVILLE dans 'Sonnailles et Clochettes'

Avril

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Sonnailles et Clochettes"

Oh! sois le bien venu, Printemps,
Ami joyeux qui nous accueilles!
Fais voler tes cheveux flottants
Sous ton riant chapeau de feuilles.

Voici le doux mois, cet Avril
Qui sur l’asphalte, en son extase,
Fait briller le chrysobéryl
Et flamber la jaune topaze.

Mille rameaux pleins de bourgeons
Préparent leur folle parure,
C’est pourquoi, mes amis, songeons
A dépouiller notre fourrure.

Serrés par de légers vestons
Et de clair soleil idolâtres,
Les hommes, comme des festons,
Vont briller en taches folâtres.

Les Halles offrent leurs primeurs.
On peut admirer les asperges
Grosses, pour charmer les rimeurs,
Comme des bras de jeunes vierges.

Pareille aux flammes d’un brasier,
Eve, la jeune fleur éclose,
Sent, comme un bouton de rosier,
S’épanouir sa gorge rose.

Plus grisante que les raisins,
Elle va, par un art insigne,
Dans les divers Grands Magasins
Acheter sa feuille de vigne.

Prête à payer d’un seul radis
Le philosophe ennuyeux, comme
Autrefois, dans le paradis,
Elle aspire à manger la pomme.

O psychologue, esprit ouvert!
Même, il faudrait que tu la visses
Grignoter, avant ce fruit vert,
Un tas de rouges écrevisses.

Pendant ces jours aventureux,
Le Printemps, secouant ses ailes
Sur tous les nids des amoureux,
Dit: En classe, mesdemoiselles!

Cernay, c’est le pays charmant
Où l’on dit à Rose: Qu’a-t-elle?
Irisé, le blanc diamant
Ruisselle de la cascatelle;

Et Corot, qui fut dans le vrai,
Donne, en guirlandes ingénues,
Aux coteaux de Ville-d’Avray
Un choeur de Nymphes toutes nues.

Un pays vraiment enjoué
Vit dans la maritime Asnières,
Où l’on dit que parfois Chloé
Subit les injures dernières.

Là d’aventureux matelots,
Prodigues du temps qui s’envole,
Emportent sur l’azur des flots
Des personnes d’un goût frivole;

Et, leurs beaux seins gonflés d’amour,
Les vagues apaisent l’orchestre
De leurs orageux sanglots, pour
Écouter les vers de Silvestre.

Nous sommes las de réfléchir:
Que notre âme enfin s’extasie!
Doux Printemps, viens nous rafraîchir
Avec ton souffle d’ambroisie.

Vous voilà mûrs pour le repos,
Esprit banal qui nous écoeures,
Vaudeville enflant tes pipeaux,
Et vous aussi, thés de cinq heures.

1er avril 1890.

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