Poème 'L’Horloge' de Théophile GAUTIER dans 'España'

L’Horloge

Théophile GAUTIER
Recueil : "España"

Vulnerant omnes, ultima necat.

La voiture fit halte à l’église d’Urrugne,
Nom rauque, dont le son à la rime répugne,
Mais qui n’en est pas moins un village charmant,
Sur un sol montueux perché bizarrement.
C’est un bâtiment pauvre, en grosses pierres grises,
Sans archanges sculptés, sans nervures ni frises,
Qui n’a pour ornement que le fer de sa croix,
Une horloge rustique et son cadran de bois,
Dont les chiffres romains, épongés par la pluie,
Ont coulé sur le fond que nul pinceau n’essuie.
Mais sur l’humble cadran regardé par hasard,
Comme les mots de flamme aux murs de Balthazar,
Comme l’inscription de la porte maudite,
En caractères noirs une phrase est écrite ;
Quatre mots solennels, quatre mots de latin,
Où tout homme en passant peut lire son destin :
 » Chaque heure fait sa plaie et la dernière achève !  »

Oui, c’est bien vrai, la vie est un combat sans trêve,
Un combat inégal contre un lutteur caché,
Qui d’aucun de nos coups ne peut être touché ;
Et dans nos coeurs criblés, comme dans une cible,
Tremblent les traits lancés par l’archer invisible.
Nous sommes condamnés, nous devons tous périr ;
Naître, c’est seulement commencer à mourir,
Et l’enfant, hier encor chérubin chez les anges,
Par le ver du linceul est piqué sous ses langes.
Le disque de l’horloge est le chant du combat,
Où la mort de sa faux par milliers nous abat ;
La Mort, rude jouteur qui suffit pour défendre
L’éternité de Dieu, qu’on voudrait bien lui prendre.
Sur le grand cheval pâle, entrevu par saint Jean,
Les Heures, sans repos, parcourent le cadran ;
Comme ces inconnus des chants du Moyen Age,
Leurs casques sont fermés sur leur sombre visage,
Et leurs armes d’acier deviennent tour à tour
Noires comme la nuit, blanches comme le jour.
Chaque soeur à l’appel de la cloche s’élance,
Prend aussitôt l’aiguille ouvrée en fer de lance,
Et toutes, sans pitié, nous piquent en passant,
Pour nous tirer du coeur une perle de sang,
Jusqu’au jour d’épouvante où paraît la dernière
Avec le sablier et la noire bannière ;
Celle qu’on n’attend pas, celle qui vient toujours,
Et qui se met en marche au premier de nos jours !
Elle va droit à vous, et, d’une main trop sûre,
Vous porte dans le flanc la suprême blessure,
Et remonte à cheval, après avoir jeté
Le cadavre au néant, l’âme à l’éternité !

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Commentaires

  1. Un des poèmes de Gautier que je préfère ! En plus, il se trouve que j'habite pas très loin d'Urrugne, mais pour autant que je cache le fameux cadran n'existe plus.

    J'ai souvent cité ces vers-ci : "Nous sommes condamnés, nous devons tous périr ; / Naître, c’est seulement commencer à mourir," Quitte à pas être gai, autant ne pas l'être en rime ! XD

  2. A recouper avec ce quatrain de Pierre Matthieu que j'aime citer également :

    "La tourmente en la mer couve sous la bonasse,
    Dans le bonheur la vie enferme le malheur :
    On la commence en pleurs, en sueurs on la passe.
    Et jamais on ne peut l’achever sans douleur."

    Entre Gautier et Matthieu, nous pouvons légitimement nous demander ce que nous faisons sur Terre ;-)

  3. Horloge des archiducs
    ------------------

    Au manoir sont logés des héros de roman.
    Le murs, dissimulés par des tentures mauves,
    Ne peuvent retenir les instants qui se sauvent ;
    L’horloge du salon les compte, posément.

    Le défunt archiduc fut un homme clément,
    Ce tranquille seigneur n’avait rien d’un grand fauve,
    Lui qui se soumettait à son confesseur chauve
    Dans les divers aspects de son comportement.

    Un éclair estival, un hivernal flocon,
    Aucun des deux n’atteint ce paisible cocon ;
    Ici l’on ne suit pas le temps de la nature.

    Regardant le cadran, les valets désireux
    De vivre encore un peu, lisent les Écritures,
    Croyant que quelque part l’archiduc prie pour eux.

  4. Horloge des archiducs ....... (avec retouche)
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    Au manoir sont logés des héros de roman.
    Les murs, dissimulés par des tentures mauves,
    Ne peuvent retenir les instants qui se sauvent ;
    L’horloge du salon les compte, posément.

    Le défunt archiduc fut un homme clément,
    Ce tranquille seigneur n’avait rien d’un grand fauve,
    Lui qui se soumettait à son confesseur chauve
    Dans les divers aspects de son comportement.

    Un éclair estival, un hivernal flocon,
    Aucun des deux n’atteint ce paisible cocon ;
    Ici l’on ne suit pas le temps de la nature.

    Regardant le cadran, les valets désireux
    De vivre encore un peu, lisent les Écritures,
    Croyant que quelque part l’archiduc prie pour eux.

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