Poème 'La Bonne Journée' de Théophile GAUTIER dans 'La Comédie de la Mort'

La Bonne Journée

Théophile GAUTIER
Recueil : "La Comédie de la Mort"

Ce jour, je l’ai passé ployé sur mon pupitre,
Sans jeter une fois l’œil à travers la vitre.
Par Apollo ! cent vers ! je devrais être las ;
On le serait à moins ; mais je ne le suis pas.
Je ne sais quelle joie intime et souveraine
Me fait le regard vif et la face sereine ;
Comme après la rosée une petite fleur,
Mon front se lève en haut avec moins de pâleur ;
Un sourire d’orgueil sur mes lèvres rayonne,
Et mon souffle pressé plus fortement résonne.
J’ai rempli mon devoir comme un brave ouvrier.
Rien ne m’a pu distraire ; en vain mon lévrier,
Entre mes deux genoux posant sa longue tête,
Semblait me dire : « En chasse ! » en vain d’un air de fête
Le ciel tout bleu dardait, par le coin du carreau,
Un filet de soleil jusque sur mon bureau ;
Près de ma pipe, en vain, ma joyeuse bouteille
M’étalait son gros ventre et souriait vermeille ;
En vain ma bien-aimée, avec son beau sein nu,
Se penchait en riant de son rire ingénu,
Sur mon fauteuil gothique, et dans ma chevelure
Répandait les parfums de son haleine pure.
Sourd comme saint Antoine à la tentation,
J’ai poursuivi mon œuvre avec religion,
L’œuvre de mon amour qui, mort, me fera vivre ;
Et ma journée ajoute un feuillet à mon livre.

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Commentaires

  1. Théophile Gautier s’endort sur son pupitre
    Et rêve qu’il s’envole au travers d’une vitre.
    Il vole au bout du monde et n’est même pas las ;
    Il tombe en un pays qu’il ne reconnaît pas.

    Il est pris pour mari par la charmante reine,
    Il est acclamé par une foule sereine ;
    Il va dans un grand lit tout recouvert de fleurs,
    De la reine étrennant la timide pâleur.

    Un sourire pensif sur ses lèvres rayonne,
    La cloche du palais bien fortement résonne,
    On propose du vin à tous les ouvriers ;
    On organise des courses de lévriers,

    La couronne anoblit du nouveau roi la tête,
    Le pays tout entier adopte un air de fête ;
    Mais le roi, s’envolant au travers d’un carreau,
    Rêve à présent qu’il est employé de bureau.

    Avec un vieux collègue, il vide une bouteille ;
    Ils ont tous deux la face un petit peu vermeille,
    Et mettent leur pensée, un peu trop fort, à nu,
    En éclatant d’un rire un peu trop ingénu.

    La reine les rejoint, sa belle chevelure
    Vole au vent de la course : elle s’affirme pure
    Du désir de vengeance, ou de sa tentation ;
    Mais elle ne veut point entrer en religion.

    Puis Gautier se réveille, et ne pouvant plus vivre
    Cette belle aventure, il la met dans un livre.

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