Poème 'La Muse des vingt ans' de Théodore de BANVILLE dans 'Le sang de la coupe'

La Muse des vingt ans

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Le sang de la coupe"

PROLOGUE ÉCRIT POUR LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE « SAPPHO »

Drame de Philoxène Boyer.

La Fantaisie
Mesdames et Messieurs, pardonnez-moi si j’ose,
Pauvre Muse troublée, affronter vos regards ;
Je suis la Fantaisie aux doigts couleur de rose,
La Muse des vingt ans, chercheuse de hasards.

Je tremble devant vous, ô foule ! hôtes illustres,
O lèvres de penseurs, ô corsages fleuris !
Moi qui vois resplendir sous l’éclat de ces lustres
Toutes les majestés dont rayonne Paris ;

Tout ce qui brille encor dans la moderne Athènes,
Toutes les mains de lys et tous les bras charmants,
Les grands fronts éblouis et les beautés hautaines
Dont les yeux font pâlir l’éclair des diamants.

Je tremble, moi qui sais dans un jardin féerique,
Mêlant aux doux ruisseaux la chanson de mes vers,
Tresser en souriant la guirlande lyrique
Et danser au soleil parmi les gazons verts.

Je sais épanouir les odes amoureuses,
Charmant avec mes sœurs les bois extasiés,
Et j’accorde ma voix, sous les forêts ombreuses,
Avec les rossignols cachés dans les rosiers.

Mais je tremble d’oser sur la scène divine
Où le maître Racine a fait parler les Dieux,
Vous montrer après lui cette double colline
Que Phoebos emplissait de chants mélodieux.

J’ai voulu, pauvre enfant, en mes jeunes délires,
Vous faire voir, parmi des rayons irisés,
La sereine Lesbos où dans la voix des lyres
Se confondait le bruit des chants et des baisers.

Mais je tremble à présent, moi compagne du pâtre,
En voyant mon idylle et mon rêve enchanteur
Fouler d’un pied craintif ces planches du théâtre
Que peut seul animer le génie, et j’ai peur.

Ah ! soyez-moi cléments, rois élus de ces fêtes,
Qui souriez déjà rien qu’en me regardant,
O fronts que le laurier couronne, ô vous, poëtes
Qui marchez d’un pied sûr dans le buisson ardent.

Et vous, reines du monde, ô femmes adorées,
Déesses de Paris, ô fiertés et douceurs,
Beaux yeux, boucles de jais, chevelures dorées,
Accueillez-moi, je tremble, ô mes divines sœurs !

Rien qu’en posant au bord des fontaines limpides,
O sœurs de Galatée, ô sœurs d’Amaryllis,
Vos pieds, vos petits pieds sur les rochers arides,
Vous y faites fleurir des roses et des lys.

O vous, troupe charmante avec amour chantée,
Si vous voulez, orgueil de mes vers ciselés,
L’outremer brillera sur ma toile enchantée
Et ma pauvre Lesbos vivra, si vous voulez.

Si vous voulez, mes sœurs, votre fière jeunesse
Fera vivre un moment dans un rêve fleuri
Ma jeunesse impuissante, et j’aurai trop d’ivresse
Si vous avez pleuré, si vous avez souri !

Odéon, 12 novembre 1850.

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