Poème 'La Pomme' de Théodore de BANVILLE dans 'Dans la fournaise'

La Pomme

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Dans la fournaise"

Confesseurs, juges sans appel,
Obstinés chercheurs de problèmes,
Vous tenez si bien le scalpel
Que vous en devenez tout blêmes.

Ainsi, de tout votre pouvoir,
De la houri jusqu’aux tziganes,
Vous fouillez la Femme, pour voir
Le jeu secret de ses organes.

Ayant classifié l’amour
Et promenant votre lanterne,
Vous voulez traîner au grand jour
Le secret de l’Ève moderne.

Cela, vous nous le promettez
Avec une ardente mimique
Et, soigneusement, vous mettez
Au net, sa formule chimique.

A ces méthodes convertis,
Vous défendez qu’elle ressente
Rien, sans vous avoir avertis.
Qu’est-elle, cette Ève récente?

Ah! que vous prenez de tourment!
Cette Ève (chaque âge a la sienne)
Qu’est-elle? Mais exactement
La même en tout point que l’ancienne.

Car, bien qu’elle soit plus ou moins
Dans tous les procès impliquée,
Sur le rapport de cent témoins,
La Femme n’est pas compliquée.

Avec ses pieds fins et petits
Elle échappe vite au reproche.
Ce que veulent ses appétits,
C’est clair comme de l’eau de roche.

En mil huit cent quatre-vingt-dix,
Comme au temps des décors étrusques,
La Femme, éprise d’Amadis,
Aime à porter de belles frusques.

Elle mange assez volontiers
Une friture à la campagne,
Et boit, sans nuls dédains altiers,
Le vin rose ou le clair champagne.

Toujours la même, je vous dis!
Elle veut, sans billevesée,
&Ecircum;tre prise en des bras hardis
Et sur sa bouche en fleur, baisée.

Si vous voulez en être sûr,
(Ne craignez pas que ce plan rate)
Plantez dans le pays d’Assur
Un jardin baigné par l’Euphrate.

Là, sous les cieux extasiés,
Que le regard enchanté voie
D’immenses forêts de rosiers
Et d’énormes lys, pleins de joie.

Oubliant les rébellions
Au milieu des chants et des ailes,
Que les tigres et les lions
Baisent tendrement les gazelles.

Dans ces paradis enchanteurs
Mettez la Femme auprès de l’Homme
Et les doux rossignols chanteurs
Et l’arbre céleste et la Pomme;

Et, comme en tout pays, cela
Suffit pour un épithalame,
Croyez-le bien, ce n’est pas la
Pomme qui mangera la Femme!

2 septembre 1890.

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Commentaires

  1. Une pomme sans discorde
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    Sur la pomme je veux faire une chanson brève,
    Qui nos vies embellit au long d’une saison ;
    Peut-être mûrit-elle au royaume des rêves,
    Elle qui inspira des récits à foison.

    Derrière les vergers sont de beaux horizons
    Et de fiers migrateurs les franchissent sans trêve ;
    Puis ils survoleront une lointaine grève
    Où l’on voit peu de monde et fort peu de maisons.

    Ève voulut avoir un pommier sur sa tombe
    En souvenir d’un goût auquel le coeur succombe ;
    Et qu’il était joli, lorsqu’il était en fleurs...

    Un oiseau sur la branche en picorant s’apaise,
    Newton sur le gazon prolonge son ascèse,
    De quelques fruits bien mûrs admirant la couleur.

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