Poème 'Péché des Musiques' de Renée VIVIEN dans 'La Vénus des aveugles'

Péché des Musiques

Renée VIVIEN
Recueil : "La Vénus des aveugles"

Je n’ai point contemplé le mirage des formes,
Je n’ai point désiré l’oasis des couleurs,
J’ai su me détourner de la saveur des cormes
Et des mûres de pourpre et des figues en fleurs.
Mes doigts n’ont point pétri le moelleux des étoffes.
J’ai fui, comme devant un reptile couché,
Devant les sinuux discours des philosophes.
Mais, ô ma conscience obscure ! j’ai péché.

Je me suis égarée en la vaste Musique,
Lupanar aussi beau que peut l’être l’enfer ;
Des vierges m’imploraient sur la couce lubrique
Où les sons effleuraient lascivement leur chair.
Tandis que les chanteurs, tel un Hindou qui jongle,
Balançaient en riant l’orage et le repos,
Plus cruels que la dent et plus aigus que l’ongle,
Les luths ont lacéré mes fibres et mes os.

Tordus par le délire impétueux du spasme,
Les instruments râlaient leur plaisir guttural,
Et les accords hurlaient le noir enthousiasme
Des prêtres érigeant les bûchers de santal ;
Des clochettes troublaient le sommeil des pagodes,
Et des roses flamants poursuivaient les ibis…
Je rêvais, à travers le murmure des odes,
Les soirs égyptiens aux pieds de Rhodopis.

Au profond des palais où meurt la lune jaune,
Les cithares et les harpes ont retenti…
Je voyais s’empourprer les murs de Babylone
Et mes mains soulevaient le voile de Vashti.
Eranna de Télos m’a vanté Mytilène.
Comme un blond corps de femme indolemment couché,
L’Ile imprégnait la mer de sa divine haleine…
Voici, ma conscience obscure ! j’ai péché…

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Commentaires

  1. Je m'étais réfugié, encore adolescent,
    Dans la cellule tiède, au coeur du monastère.
    Peu sévère était l'Ordre et nullement austère,
    Ce que nous apprenions était intéressant.

    Puis, nous faisions partie du groupe des puissants,
    Pour nous les paysans faisaient vivre leur terre,
    Pour nous les commerçants ont armé leurs galères,
    Facile de payer, rien qu'en les bénissant.

    Maintenant je suis vieux, dévasté par le doute,
    La voie que j'ai suivie, est-ce une fausse route ?
    J'inscris cette question sur mes longs parchemins.

    J'inscris cette question qui devient un poème,
    Si cette vie sur terre est faite pour qu'on aime,
    Aimer la poésie est aussi un chemin.

  2. Saint Bardamu
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    Badamu fut ascète, en tant qu’adolescent ;
    Il avait pour amis les gens du monastère
    Et plus que chacun d’eux il se montrait austère,
    Ce que ces frères-là trouvaient intéressant.

    Il n’a jamais choisi un protecteur puissant,
    Il est toujours resté un ami de la Terre ;
    Personne, de son fait, ne fut mis en galère,
    Et je vois bien des gens qui le vont bénissant.

    Jamais son bel esprit n’entretint de grands doutes,
    Libre fut son allure et droite fut sa route ;
    Du diable, il n’a jamais signé le parchemin.

    Bardamu, je le crois, méritait ce poème,
    Car c’est un personnage, un saint comme on les aime
    Et dont on est heureux de croiser le chemin.

  3. Dame du monastère
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    De la communauté la dame est cellérière
    En un terroir normand, non loin de Cerisy ;
    Elle sait proposer des breuvages choisis
    Aux moines pleins d’ardeur, qui n’en refusent guère.

    Sachez, si vous trouvez la chose singulière,
    Que de cette exception le Pape fut saisi,
    Lequel a répondu : « Mes enfants, allez-y,
    Cela fera plaisir à Jeanne, la guerrière. »

    Les moines de ce lieu ne sont pas dépensiers,
    Tu peux le demander à leur brave caissier ;
    Sobre est leur appétit, car ce sont des poètes.

    La dame en les servant plaisante avec entrain
    Qui de leur bonne humeur toujours est satisfaite ;
    Surtout quand elle entend leurs amoureux quatrains.

  4. Crosse de sable
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    J’appartiens au primat d’une terre étrangère,
    Des portraits de démons sont en ses livres saints ;
    Il en a mille et un sur sa grande étagère,
    Dont sa main reproduit, certains jours, les dessins.

    Ne me prenez pas pour une canne légère,
    Je sors de l’atelier d’un habile voisin ;
    Héphaïstos, qui est du prélat le cousin,
    En son antre me fit, que sagement il gère.

    L’évêque aime Lilith, plus que sa cousine Eve ;
    Il aime l’inframonde où jamais ne s’élève
    La voix d’un célébrant qui les prières lit.

    Il se montrait jadis avec sa crosse mauve
    Qui fut abandonnée en une sombre alcôve,
    Et le primat n’est point retourné dans ce lit.

  5. Crosse muette
    ____

    Moi je n'ai rien dit,
    Je ne suis qu'un instrument
    Nullement sonore.

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