Poème 'Une Fête chez Gautier' de Théodore de BANVILLE dans 'Rimes dorées'

Une Fête chez Gautier

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Rimes dorées"

I

Hier, — doux remède à nos maux! –
Thalie, ivre et fuyant la prose,
Chez le poëte des Émaux
Avait planté sa tente rose.

Le Caprice, qu’il a chanté,
Riait, sylphe au léger costume,
Coiffé du tricorne enchanté,
Et caressait Pierrot posthume.

Rayée en façon de satin,
Une salle en toile, folâtre
Comme un habit de Mezzetin,
Enfermait le petit théâtre.

D’ailleurs, un luxe oriental,
Pour la Muse qu’on divinise,
Mirait un lustre de cristal
Dans un beau miroir de Venise.

S’il faut vous dire quels témoins
Encombraient ce frêle édifice,
L’assemblée était certes moins
Nombreuse qu’au feu d’artifice.

Élégante comme il convient
Pour écouter la Poésie
Quand ce bel Ange nous revient,
Elle était illustre et choisie.

Tant de beaux yeux, couleur des soirs
Ou de l’or pur ou des pervenches,
Faisaient passer les habits noirs
Masqués par des épaules blanches.

La littérature y comptait,
L’ancienne aussi bien que la neuve,
Si bien que Dumas fils était
Assis auprès de Sainte-Beuve.

II

En dépit d’un siècle traînard,
On avait omis la Musique,
Par la raison que c’est un art
Trop matériel et physique.

Devant l’or sacré d’Apollon
Que devient cette pâle étoile?
Donc ce fut sans nul violon
Que l’on vit se lever la toile.

Les décors malins et vermeils
Étaient de Puvis de Chavannes:
Pour en rencontrer de pareils
On irait bien plus loin que Vannes!

La Fantaisie et la Raison
S’y battaient de façon hautaine,
Et j’admirai que la maison
Fût moins grande que la fontaine.

J’aime ce mur d’un si haut goût
Où ce grand pot de fleurs flamboie!
Mais ce que je préfère à tout
Et ce qui m’a comblé de joie,

C’est l’enseigne du rôtisseur,
Qui ne mérite aucun reproche:
Un saint Laurent plein de douceur
Achevant de cuire à la broche.

Pour les pièces, on les connaît:
C’est la Muse parant la Farce
De cent perles où le jour naît,
Couronne sur sa tête éparse;

C’est la débauche du Rimeur,
Qui, le front caressé d’un lierre,
Avec la Nymphe en belle humeur
S’enivre du vin de Molière.

Jamais chasseur en ses liens
N’a mieux pris la rime galante!
Mais parlons des comédiens:
Ma foi!  la troupe est excellente.

III

Malgré le Chacun son métier,
La critique ici ne peut mordre,
Puisque Théophile Gautier
Est un acteur de premier ordre.

Quoi! direz-vous. — Oui, c’est ainsi.
On a beau porter une lyre,
Il paraît que l’on peut aussi,
Faisant des vers, savoir les dire.

Comme il a bien peur des filous!
Oh! la réplique alerte et vive!
Les bons airs de tuteur jaloux!
La bonne bêtise naïve!

Les directeurs, — allez-y voir! –
N’ont rien qui vaille, dans leurs bouges,
Ce fier Géronte en pourpoint noir,
En bonnet rouge, en manches rouges.

Quand à Pierrot, blanc comme un lys
Et sérieux comme un augure,
Il empruntait de Gautier fils
Une très aimable figure.

Mais vous, Colombine, Arlequin,
Inez, Marinette, Valère,
Taille fine, frais casaquin,
Amour, esprit, gaieté, colère,

Que dire de vos yeux mutins,
De la fleur sur vos fronts éclose,
De vos petits pieds enfantins,
De vos chastes lèvres de rose?

O jeunesse! ô pourpre de sang!
Jamais ni Béjart ni de Brie
Avec un front suave et blanc
N’eurent la bouche plus fleurie.

Pour finir, louer Rodolfo
N’est pas une chose commode,
Et j’aurais besoin que Sappho
Me prêtât son grand rythme d’ode.

Il est flûté comme un hautbois,
Brillant comme une faux dans l’herbe,
Et son geste a l’air d’être en bois:
Il est terrible, il est superbe.

Je le vois, hélas! j’aurais dû,
Moi qui veux la blancheur aux merles,
A travers ce compte rendu
Semer les rubis et les perles.

Qu’il est pâle, mon feuilleton
Pour cette fête sans seconde! –
Mais je suis comme fut, dit-on,
La plus belle fille du monde.

1er septembre 1863.

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