Poème '49 – Plus se hante moins s’apprivoyse' de Maurice SCÈVE dans 'Délie (en vieux français, découpé par emblème de neuf dizains)'

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49 – Plus se hante moins s’apprivoyse

Maurice SCÈVE
Recueil : "Délie (en vieux français, découpé par emblème de neuf dizains)"

CCCCXXXVIII [=CCCCXXIX] .

Ja soit ce encor, que l’importunité
Par le privé de frequentation
Puisse polir toute rusticité
Tant ennemye a reputation:
Et qu’en son coeur face habitation
A la vertu gentilesse adonnée,
Estant en moeurs mieulx conditionée,
Que nul, qui soit quelque part, qu’elle voyse:
Elle est (pourtant) en amours si mal née,
Que plus y hante, & moins s’y apprivoyse.

CCCCXXXIX [=CCCCXXX] .

Quoy qu’a malheur je vueille attribuer
Coulpe, ou deffault, qui a mon vueil conteste,
Si me fault il du coeur contribuer
A mon dommage asses, & trop moleste,
Pour parvenir au bien plus, que celeste,
Comme je croy, que me sera cestuy.
Car patience est le propice Estuy,
Ou se conserve & foy, & asseurance.
Et vrayement n’est point aymant celluy,
Qui du desir vit hors de l’esperance.

CCCCXL [=CCCCXXXI] .

Respect de toy me rendant tout indigne,
Pour reverer l’admirable prestance
De ta nature humainement benigne,
Me fait fuyr ta privée accoinctance
Par craincte plus, que non point pour doubtance
De tes doulx arcz, me povant garder d’eulx.
Mais tout coeur hault, dont du mien je me deulx,
En ce combat d’amoureux desplaisir
Vit un long temps suspendu entre deux,
L’espoir vainquant a la fin le desir.

CCCCXLI [=CCCCXXXII] .

Sans aultre bien, qui fur au mal commode,
Avec le sens l’humain entendement
Ont gouverné mes plaisirs a leur mode,
Loing toutesfoys de tout contentement,
Qui suffisoit: sans que recentement
Je sente, Amour, tes mordentes espinces,
Dont de rechef encores tu me pinces,
Mesmes cest An, que le froid Alleman
(O Chrestienté!) chassé de ses provinces,
Se voit au joug de ce grand Ottoman.

CCCCXLII [=CCCCXXXIII] .

Je m’en esloingne, & souvent m’en absente,
Non que je soys en si sainct lieu suspect:
Mais pour autant, que la raison presente
S’esblouissant a son plaisant aspect
Ne peult avoir tant soit peu, de respect
A modestie, & moins d’elle jouir.
Car mon parler, toucher, veoir, & ouir
Sont imparfaictz, comme d’homme qui songe,
Et pleure alors, qu’il se deust resjouir
D’une si vaine, & plaisante mensonge.

CCCCXLIII [=CCCCXXXIIII] .

Ainsi absent la memoyre posée,
Et plus tranquille, & apte a concevoir,
Par la raison estant interposée,
Comme clarté a l’object, qu’on veult veoir:
Rumine en soy, & sans se decevoir
Gouste trop mieulx sa vertu, & sa grace,
Que ne faisoient presentez a sa face
Les sentementz de leur joye enyvrez,
Qui maintenant par plus grand’ efficace
Sentent leur bien de leur mal delivrez.

CCCCXLIIII [=CCCCXXXV] .

Or si le sens, voye de la raison,
Me fait jouir de tous plaisirs aultant,
Que ses vertus, & sans comparaison
De sa beaulté toute aultre surmontant,
Ne sens je en nous parfaire, en augmentant
L’hermaphrodite, efficace amoureuse?
O que doulceur a l’Amant rigoureuse
Me deust ce jour plainement asseurer
La Creature estre en soy bienheureuse,
Qui peult aultruy, tant soit peu, bienheurer.

CCCCXLV [=CCCCXXXVI] .

Incessamment travaillant en moy celle,
Qui a aymer enseigne, & reverer,
Et qui tousjours par sa doulce estincelle
Me fera craindre, ensemble & esperer,
En moy se voit la joye prosperer
Dessus la doubte a ce coup sommeilleuse.
Car sa vertu par voye perilleuse
Me penetrant l’Ame jusqu’au mylieu,
Me fait sentir celle herbe merveilleuse,
Qui de Glaucus jà me transforme en Dieu.

CCCCXLVI [=CCCCXXXVII] .

Estre me deust si grand’ longeur de temps
Experiment, advis, & sapience,
Pour parvenir au bien, que je pretens,
Ou aspirer ne m’estoit pas science.
Et toutesfoys par longue patience
En mon travail tant longuement comprise,
Je la tenoys desjà pour moy surprise,
Et toute mienne (ô frivole esperance)
Mais tout ainsi que l’Aigle noir tient prise,
Et jà mespart a ses Aiglons la France.

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