Poème 'La menée' de ATOS

La menée

ATOS

Il faut danser avec les mots.
Sur nos accords les porter, les entrelacer, les accompagner, les lâcher et les laisser aller.
Oser alors les rejoindre, les atteindre, les reprendre, les envelopper, les déposer, et avec eux, à nouveau, s’élancer.
Il faut courir avec les mots. Suivre le rythme de leur souffle, de leur élan. Rejoindre leur cadence. Il faut savoir les attendre, certains, toujours, confiants en leur chemin.
Il faut les surprendre, les convier bruyants, nombreux, exigeants, tumultueux, généreux. Il faut parfois les affronter, sans les confondre, les placer, les provoquer, estimer leur portée.
Ne jamais perdre leur trace. Les guetter dans l’embrasure du temps, dans leur premier mouvement. Suivre leur manège , les rechercher, les retrouver.
Un petit pas chassé, un mot qui en vaut deux, un pas de deux, un même élan.
Le quadrille surprend le Maître et poursuit la lumière.
Il faut chanter et rire avec les mots, les mettre en scène, les fêter, trinquer à leur ivresse, faire tinter leurs vérités. et avec eux, sans aucune crainte, voir le jour se lever.
Rechercher ceux qui n’osent plus revenir au foyer. Savoir les attendre, savoir les écouter, lorsqu’ils s’en reviennent malheureux, les consoler, les assurer et les coucher sur quelque feuillet.
Accueillir d’autres mots, des mots oubliés, aux paroles sincères, aux verbes parfumés, des mots inconnus, égarés, paumés, gouailleurs, ébouriffés,des mots à l’eau de rose, à l’encre rouge,à la grande lumière du jour.
Leur offrir des silences comme on porte un quartier d’orange aux lèvres de l’hiver.
Les veiller, les conter, les rassurer, les réchauffer. Et puis, au printemps revenu, leur ouvrir les volets. Leur annoncer le plaisir d’exister. Il faut alors les bousculer, leur faire perdre conscience, les étourdir pour enfin les laisser aller, pour qu’ils nous délivrent et se glissent à travers les mailles d’une pudeur insensée.
Les laisser virevolter sur des pointes de soie ancienne, au beau milieu d’un décor réinventé.
Il faut les découvrir au coin d’une phrase, et se surprendre à les laisser rêver plus audacieux, conquérants et victorieux.
En vers, en prière ou en vœux, les hommes n’ont jamais trouvé mieux que les mots pour donner à leurs orages un coin de ciel bleu.

Il faut faire les mots, aussi librement que l’on fait l’amour, aussi follement que l’on fait le mur, aussi sagement que l’on fait son temps, aussi innocemment que l’on fait un enfant.
Il faut les forger, les créer, les assembler, les accorder, les patiner, les murmurer,
les tailler, les tenter, les exercer, les semer, les greffer.
Ils annoncent, proclament, repoussent, refusent, réclament, pardonnent, questionnent et nous surprennent à être si vivants .
Ils sont dans nos colères, Ils sont dans nos aveux. Ils sont ce que nous sommes.
Leur absence n’est que le désaveu d’un courage que nous perdons parfois devant eux. Lorsque certains nous échappent, malencontreux, il faudrait se promettre de les comprendre mieux .
Il faudrait toujours en être amoureux. Ne pas les contourner, ne pas les éviter, désirer les frôler, les séduire, les appeler, et soudain les saisir et se perdre en eux.
Il faut savoir les laisser libres, Ne jamais tenter de les retenir. Garder leur élégance en souvenir, sourire à leur acide jeunesse, et croire qu’ils porteront à jamais velours.
Il connaissent le vent, attisent le feu, caressent les flots et déplacent les soleils.
Ils souffrent dans les fers, pourrissent en misère, brunissent à l’ombre des murs et des frontières, se déchirent souvent pour un pain, orphelins de leur Maître.
Mais en battant le pavé, Ils réinventent leur ballet, répétant obstinément le mouvement le plus difficile: Se donner à danser en toute liberté.

Mais ils crèvent du mensonge. La rumeur et le mépris les empoisonnent. Ils sont aussi fragiles qu’ils sont puissants. Ils sont universels, ils sont particulièrement troublants. Ils sont enfants des cimes et esprit de la chair.
Ils sont le chant. Ils sont princes, ils sont mendiants. Ils sont la source et notre sang.

Ils sont tout ce que nous avons, Tout ce que laisserons, Tout ce que nous donnerons.

Tous, nous accompagnent, tous jusqu’au dernier – Ce mot ultime prononcé lorsque se referment les guillemets, échangé, dans un soupir, contre l’or d’un nouveau monde.

Ils sont promesses, glaives, serments, armures, tendresse,flammes, larmes.
Ils sont qui nous sommes. Ils sont ce que nous portons.
Il faut les dire, les écrire, les imprimer, les signer, les graver, les peindre,les modeler, les prononcer, les crier, les déclamer, les apprendre, les apprivoiser, les implorer, les conjurer, les confier, les partager, les poudrer sans jamais les grimer, les parer sans jamais les travestir, promettre de ne jamais les trahir, tenter toujours de les servir.
Les perdre nous exile, les taire nous tourmente.
Lorsque les mots font leur entrée, une étoile est toujours annoncée.

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