Poème 'Le prisonnier' de José-Maria de HEREDIA dans 'Les Trophées'

Le prisonnier

José-Maria de HEREDIA
Recueil : "Les Trophées"

A Gérôme.

Là-bas, les muezzins ont cessé leurs clameurs.
Le ciel vert, au couchant, de pourpre et d’or se frange ;
Le crocodile plonge et cherche un lit de fange,
Et le grand fleuve endort ses dernières rumeurs.

Assis, jambes en croix, comme il sied aux fumeurs,
Le Chef rêvait, bercé par le haschisch étrange,
Tandis qu’avec effort faisant mouvoir la cange,
Deux nègres se courbaient, nus, au banc des rameurs.

A l’arrière, joyeux et l’insulte à la bouche,
Grattant l’aigre guzla qui rhythme un air farouche,
Se penchait un Arnaute à l’oeil féroce et vil ;

Car lié sur la barque et saignant sous l’entrave,
Un vieux Scheikh regardait d’un air stupide et grave
Les minarets pointus qui tremblent dans le Nil.

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Commentaires

  1. Oiseau d’azur et de passage
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    De cet oiseau discret, jamais nulle clameur ;
    Ses ailes sont d’azur, mais de sable se frangent.
    Très rarement, il plonge et cherche un lit de fange,
    Mais on n’en est pas sûr ; serait-ce une rumeur ?

    Il a de bons poumons, car il n’est pas fumeur,
    N’aimant ni le tabac, ni le haschisch étrange,
    Aux avis des meilleurs médecins il se range.
    Il plane cependant, ce n’est pas un rameur.

    Il a presque toujours un poème à la bouche,
    Il n’est pas agressif, il n’a pas l’air farouche;
    Plus pur que Parsifal, il ne fait rien de vil.

    Il a pitié des boeufs qui souffrent sous l’entrave,
    Regardant devant eux d’un air stupide et grave
    Depuis quatre mille ans, sur les rives du Nil.

  2. Chaussures du gyrovague
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    J’ai suivi des chemins discrets, loin des clameurs
    Des agglomérations qui de banlieues se frangent.
    Mes pieds ne craignent pas de marcher dans la fange
    Auprès d’un vif torrent dont j’entends la rumeur.

    J’aimais les cabarets envahis de fumeurs,
    Jadis, mais à présent je fuis ces lieux étranges ;
    Ce n’est pas surprenant, avec l’âge, on se range,
    Et puis on se repose, et pour finir, on meurt.

    Les fruits de la forêt sont tendres à ma bouche,
    Je deviens familier des animaux farouches
    Qui ont un coeur paisible et ne font rien de vil.

    Gyrovague je suis, vagabond sans entraves,
    Avec le sanglier j’échange un regard grave :
    Sa présence me plaît, c’est un monstre subtil.

  3. Sanglier d’azur
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    C’est un vieux sanglier, ce n’est pas un frimeur,
    Il ne sera brutal que si tu le déranges ;
    Souvent tu peux le voir se vautrer dans la fange
    Quand il n’est point au val un paisible dormeur.

    S’il trouve sa provende, il est de bonne humeur,
    Il peut même parfois manger des fruits étranges ;
    Son père lui disait «Qu’importe ce qu’on mange,
    Bénissons les humains qui sont de bons semeurs.»

    Jamais un sanglier ne fait la fine bouche,
    Même, il est stimulé par des mets un peu louches ;
    Manger quelques rebuts, cela n’est rien de vil.

  4. Sanglier (suite et fin)
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    Je veux te ressembler, animal sans entraves,
    Si je n’y parviens point, ce n’est pas vraiment grave ;
    Mais j’en ai juste assez d’être toujours subtil.

  5. Barque de mai
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    Nous voguons dans la bonne humeur,
    Guidés par la sirène et l’ange ;
    La Garonne n’est pas le Gange,
    Mais ses rivages sont charmeurs ;

    Nous saluons quelques rameurs
    Dont les pavillons sont étranges ;
    « Ici tout change et rien ne change »,
    Comme le disait un rimeur.

    Jamais ici de bateaux-mouches,
    S’il en venait, ça serait louche ;
    Pas plus ici que sur le Nil.

    « L’estuaire, c’est pour les braves »,
    Disent les pêcheurs, d’un air grave ;
    « Surtout dans les grands vents d’avril ».

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José-Maria de HEREDIA

Portait de José-Maria de HEREDIA

José-Maria de Heredia (né José María de Heredia Girard 1842-1905) est un homme de lettres d’origine cubaine, naturalisé français en 1893. En tant que poète, c’est un des maîtres du mouvement parnassien, véritable joaillier du vers. Son œuvre poétique est constituée d’un unique recueil, « Les... [Lire la suite]

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