Poème 'Le Semeur' de Léon DIERX

Le Semeur

Léon DIERX

Un large ruban d’or illumine la cime
Des coteaux dont la brume a noyé le versant.
L’horizon se déchire, et le soleil descend
Sous les nuages roux qui flottent dans l’abîme
Comme un riche archipel sur une mer de sang.

De confuses rumeurs s’éveillent par la plaine,
Et dans son champ, debout aux rebords des sillons,
Travailleur obstiné sous le !> derniers rayons,
Un semeur devant lui lance au loin sa main pleine,
Et chasse des oiseaux les criards tourbillons.

Et l’occident s’écroule où l’astre antique éclate,
Et le semeur, frappé d’un long et rouge adieu,
Par grands gestes, au loin, dans un sinistre jeu
Semble jeter au vent la poussière écarlate
De son cœur calciné dans sa poitrine en feu.

— Ton âme se déchire ; et voilà ta pensée
Qui sombre sous l’amas de tes rêves sanglants.
Ceint aussi d’un reflet de pourpre sur les flancs,
Aux dernières lueurs de ta gloire passée,
Homme ! à travers tes jours tu marches à pas lents.

Tu fouleras bientôt l’herbe des sépultures !
Aux becs des vieux espoirs donne un dernier repas ;
Féconde encor le champ des douleurs ; ne crains pas
L’horrible hurlement dans les gerbes futures
Dont tu pressens déjà les échos sous tes pas !

Fouille en ton sein la cendre encor chaude et vivace ;
Aux vents froids de la vie ouvre ta large main ;
Et, dans la calme nuit qui couvre ton chemin,
Vengé, vers le tombeau tu peux tourner la face,
N’ayant plus rien au cœur pour y semer demain.

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Commentaires

  1. S'il fallait des grands monts interroger la cime,
    Qui peut savoir ce que répondrait le versant ?
    Peu souvent, des sommets, un oracle descend ;
    Et quand cela survient, il se perd dans l'abîme.

    Quand le barde entreprend de consulter la plaine,
    Il ne distingue point les propos des sillons
    Qui semblent affirmer "Ce n'est pas mon rayon" ;
    Ou bien, ils ont parlé avec la bouche pleine.

    Ainsi va l'univers dont la sagesse éclate,
    Nul ne peut déchiffrer cette toile écarlate,
    Nul ne sait ce que l'arbre a déclaré par jeu.

    C'est ainsi. Jusqu'au seuil des vastes sépultures,
    L'homme reste ignorant de ses journées futures ;
    Mais il l'aime, à la fin, ce silence de Dieu.

  2. Semeur de rimes
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    Ne possédant point l’art de gravir une cime,
    Il suit tout simplement le chemin qui descend ;
    Il écoute parfois ce que dit un passant,
    Sans s’attendre jamais à des propos sublimes.

    Est-ce un antique barde, est-ce un semeur de rimes,
    Ou ne serait-ce rien qu’un flâneur innocent ?
    Posant son regard sur les mots qu’il va chassant,
    Il sourit de plaisir et son esprit s’anime.

    Face au grand univers dont la sagesse éclate,
    Nul ne se satisfait d’une prose trop plate ;
    Chacun veut s’enquérir de la règle du jeu.

    Le chemin passe aussi devant des sépultures ;
    En elles nous voyons nos demeures futures,
    Nous y ferons graver un beau sonnet d’adieu.

  3. Aphorisme esthérien
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    .

    La mort décime
    L'âme, hors des cimes.

    .

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Léon DIERX

Portait de Léon DIERX

Léon Dierx, né à Saint-Denis de La Réunion le 31 mars 1838 et mort à Paris le 12 juin 1912, est un poète parnassien et peintre académique français. Léon Dierx naît dans la villa de Saint-Denis aujourd’hui appelée villa Déramond-Barre, que son grand-père a rachetée en 1830. Il y vit jusqu’en 1860, année de son... [Lire la suite]

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