Poème 'Saint-Denis' de Louis-Honoré FRÉCHETTE dans 'La Légende d'un peuple'

Saint-Denis

Louis-Honoré FRÉCHETTE
Recueil : "La Légende d'un peuple"

Un jour, après avoir longtemps courbé le front,
Le peuple se leva pour venger son affront.

Comment, dans ce conflit de forces inégales,
Armés de vieux mousquets chargés avec des balles
Qu’ils fondaient de leurs mains sous le feu des Anglais,
On les vit tout un jour riposter aux boulets,
Et puis, finalement, remporter la victoire,
Cela renverse… eh bien, c’est pourtant de l’histoire.

Mon ami Lusignan me l’a conté cent fois.
Et, quand il relatait ces choses-là, sa voix
Tremblait toujours un peu, car c’était de son père,
Un des seuls et derniers survivants de l’affaire,
Qu’il tenait les détails du drame ensanglanté,
Où son grand-père était mort pour la liberté.

Ils n’étaient pas en tout quatre cents. Dès la veille,
Ils s’étaient confessés ; et l’esprit s’émerveille
A songer que ces gens, sans pain, mal équipés,
Fiers revendicateurs de leurs droits usurpés,
Dans leur révolte sainte et leur courage austère,
Osaient braver ainsi la puissante Angleterre.
Nelson les commandait, ― un homme de combats…
Oh ! les sombres retours des choses d’ici bas !
Si cet homme eût fini, là, dans toute sa gloire,
Pour l’avenir quel poids de moins sur sa mémoire !
Quand on tombe de haut, la chute fait frémir.
Mais du passé laissons les tristesses dormir ;
Il vaut mieux ne songer qu’aux choses consolantes.

Sous le feu du canon, sous les balles sifflantes,
Dans les folles clameurs et les trombes de fer,
Le village assiégé grondait comme un enfer.
Par moments, on pouvait, à travers la fumée,
Voir tout un régiment, et presque un corps d’armée,
Dans un cercle de feu, s’avancer pas à pas,
Cherchant des ennemis qu’on n’apercevait pas.

Les lourds affûts, traînés à grand bruit de ferrailles,
Disloquaient, ça et là, charpentes et murailles ;
Aux vitres, sur les toits, partout le plomb strident
Crépitait, ricochait, grêlait ; et cependant
C’étaient eux, les soldats ― chose incompréhensible ―
Qui pour un tir fatal semblaient servir de cible,
Et, criblés, ne sachant à quels saints se vouer,
Voyaient leurs masses fondre et leurs rangs se trouer.

Ils avaient cru n’avoir qu’à cerner un village
Avant d’y promener la torche et le pillage ;
Et voilà que battus, décimés, écharpés,
Ce sont eux qui se voient partout enveloppés !
Et comment repousser ces attaques étranges ?
Au coin des murs, au seuil des maisons et des granges,
Derrière une clôture, aux pentes d’un guéret,
Où son costume gris s’efface et disparaît,
Partout, la crosse en joue, un insurgé se dresse
Et les fusille avec une incroyable adresse.
Où pointer les canons ? où fondre ? où se porter ?
Dans ce dédale affreux comment s’orienter ?…
Là, qui s’arrête tombe ; ici, feu sur qui bouge !
Mort à tout ce qui porte un uniforme rouge !…

Cela faisait un sombre et farouche tableau.

Le commandant, un vieux soldat de Waterloo,
Pâle, et voyant déjà, sans être un grand prophète,
Venir l’humiliante et fatale défaite,
Devant cet ennemi qui glisse dans ses mains,
Aux premiers rangs s’épuise en efforts surhumains.
Il comprend que pour lui l’échec serait la honte ;
Et, courant au-devant de la mort qu’il affronte,
Il cherche en vain, par des appels exaspérés,
À rallier un peu ses soldats effarés…
Impossible !

Et bientôt, tout le long de la route,
On vit s’enfuir au loin les Anglais en déroute.
Armes, munitions, vivres, fourgons chargés
Tombaient du même coup aux mains des insurgés.
Les opprimés avaient remporté la victoire.
Et l’un des plus brillants feuillets de notre histoire
Porte aujourd’hui le nom vainqueur de Saint-Denis !

Hélas ! beaux horizons bien vite rembrunis !
Deux jours après ― c’était l’envers de la médaille ―
Saint-Charle perdait tout en perdant la bataille.
Tout ? non pas ; car déjà le coup avait porté :
Saint-Denis nous avait conquis la liberté !

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