Poème 'Vérité' de Théodore de BANVILLE dans 'Dans la fournaise'

Vérité

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Dans la fournaise"

Quoi! vous êtes la Vérité!
Dis-je à la déesse pensive
Qui, sans nulle sévérité,
Riait, laissant voir sa gencive.

Il se peut que ce soit un fait
Et que votre grâce ingénue
Porte ce nom, car, en effet,
Je vous vois nue, ou presque nue.

Comme au bout du compte, je puis
Croire à cette histoire un peu roide,
Peut-être sortez-vous d’un puits,
Caressée encor par l’eau froide.

Car les collines de vos seins,
Entièrement libres de voiles,
Manifestent leurs purs dessins
Et brillent comme des étoiles.

Vous avez, en sortant de l’eau,
Deux bras de plus que n’en possède
La grande Vénus de Milo,
Cette guerrière à qui tout cède.

J’admire vos robustes flancs,
Et moi, le mélodieux chantre
Des lys, je célèbre les plans
Harmonieux de votre ventre.

Oui, je n’ai, dit-elle, hérité
D’aucune parure connue.
Étant déesse et Vérité,
Il convient que je reste nue.

Je prends un plaisir infini
A perpétuer ma coutume
Et je m’y tiens, Bianchini
M’ayant dessiné ce costume.

Oui, dis-je, sur ces purs sommets
Oh! que de neige éparpillée,
Frissonnante déesse, mais
Comme vous êtes maquillée!

Comme les filles qui, la nuit,
S’en vont flirter dans quelque bouge,
Vous avez, et cela vous nuit,
Beaucoup trop de blanc et de rouge.

Et sans compter les traits subtils
Des crayons bleus qui font les veines,
De faux sourcils et de faux cils
Vous ornent de leurs grâces vaines.

Oui, dit la déesse, ma peau
A besoin d’un soupçon de rose,
Que je pose là, comme appeau.
Et pourtant, c’est bien quelque chose,

Quand il fait du soleil, je mets
En liberté ma toison blonde.
Et je suis la Vérité, mais
La Vérité, femme du monde.

En un milieu select, et d’où
L’Amour s’enfuit, tirant ses grègues, –
Ainsi qu’en un gai paradou
Je folâtre avec mes collègues.

Feuilletant les divers Bottins,
Qui de jour en jour s’exagèrent,
Nous accueillons tous les potins
Que tant de noms épars suggèrent.

Loin du sexe laid, à l’écart,
Nous ourdissons de belles trames,
Car à cinq heures, pour le quart,
Nous prenons des thés entre femmes.

On a beau dire: O Jeux! O Ris!
O Candeur! si je vous imite,
C’est grâce à la poudre de riz. –
La poudre de riz est un mythe.

C’est de vrai blanc, du blanc de zinc,
Pareil à celui des actrices,
Que nous montrons aux thés de cinq
Heures. O Nymphes protectrices!

Nos appas du temps sont vainqueurs
Et ne craignent aucune rouille,
Et comme on ne voit pas les coeurs,
Ni vu, ni connu, je t’embrouille!

25 novembre 1890.

Poème préféré des membres

Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

Aucun commentaire

Rédiger un commentaire

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS