Poème '11 – Doulce la peine qui est accompaignee' de Maurice SCÈVE dans 'Délie (en vieux français, découpé par emblème de neuf dizains)'

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11 – Doulce la peine qui est accompaignee

Maurice SCÈVE
Recueil : "Délie (en vieux français, découpé par emblème de neuf dizains)"

LXXXVII.

Ce doux grief mal tant longuement souffert
En ma pensée & au lieu le plus tendre,
De mon bon gré au travail m’a offert,
Sans contre Amour aulcunement contendre:
Et me vouldrois a plus souffrir estendre,
Si lon povoit plus grand peine prouver.
Mais encor mieulx me feroit esprouver,
Si par mourir sa foy m’estoit gaignée,
Tant seulement pour me faire trouver
Doulce la peine au mal accompaignée.

LXXXVIII.

Non cy me tien ma dure destinée
Ensepvely en solitaire horreur:
Mais y languit ma vie confinée
Par la durté de ton ingrate erreur:
Et ne te sont ne craincte, ne terreur
Fouldre des Dieux, & ton cruel meffaire.
Celle s’enflamme a la vengeance faire,
Cestuy t’accuse, & justice demande.
Pourras tu donc, toy seule, satisfaire
A moy, aux Dieux, a ta coulpe si grande?

LXXXIX.

Amour perdit les traictz, qu’il me tira,
Et de douleur se print fort a complaindre:
Venus en eut pitié, & souspira,
Tant que par pleurs son brandon feit esteindre,
Dont aigrement furent contrainctz de plaindre:
Car l’Archier fut sans traict, Cypris sans flamme.
Ne pleure plus, Venus: Mais bien enflamme
Ta torche en moy, mon coeur l’allumera:
Et toy, Enfant, cesse: va vers ma Dame,
Qui de ses yeux tes flesches refera.

XC.

Par ce hault bien, qui des Cieulx plut sur toy,
Tu m’excitas du sommeil de paresse:
Et par celuy qu’ores je ramentoy,
Tu m’endormis en mortelle destresse.
Luy seul a vivre evidemment m’adresse,
Et toy ma vie a mort as consommée.
Mais (si tu veulx) vertu en toy nommée,
Agrandissant mes espritz faictz petitz.
De toy, & moy fera la renommée
Oultrepasser & Ganges, & Bethys.

C [=XCI] .

Osté du col de la doulce plaisance,
Fus mis es bras d’amere cruauté,
Quand premier j’eu novelle congnoissance
De celle rare, & divine beauté,
Qui obligea ma ferme loyaulté
Au froid loyer de si grand servitude.
Non que j’accuse en toy nature rude:
Mais a me plaindre à toy m’a incité
L’avoir perdu en telle ingratitude
Les meilleurs ans de ma felicité.

CI [=XCII] .

Sur nostre chef gettant Phebus ses rayz,
Faisoit bouillir de son cler jour la None:
Advis me fut de veoir en son taint frais
Celle de qui la rencontre m’estonne,
De qui la voix si fort en l’ame tonne:
Que ne puis d’elle un seul doulx mot ouir:
Et de qui l’oeil vient ma veue esblouir,
Tant qu’aultre n’est, fors elle, a mes yeux belle.
Me pourra donc tel Soleil resjouir,
Quand tout Mydi m’est nuict, voire eternelle?

CII [=XCIII] .

Oeil Aquilin, qui tant osas souffrir
Les rayz aiguz de celle clarté saincte,
A qui Amour vaincu se vint offrir,
Donc de ses traictz tu la veis toute ceincte,
N’aperçoys tu, que de tes maulx enceincte,
Elle te fait tant de larmes pleuvoir?
Vueillent les Cieulx par un bening debvoir,
Tes pleurs si grandz si largement deduire,
Qu’elle les voye en un ruisseau movoir,
Qui, murmurant, mes peines puisse dire.

CIII [=XCIIII] .

Si treslas fut d’environner le Monde
Le Dieu volant, qu’en Mer il s’abysma:
Mais retournant a chef de temps sur l’unde,
Sa Trousse print, & en fuste l’arma:
De ses deux traictz diligemment rama,
De l’arc fit l’arbre, & son bendeau tendit
Aux ventz pour voille, & en Port descendit
Tresjoyeux d’estre arrivé seurement.
Ainsi Amour, perdu a nous, rendit
Vexation, qui donne entendement.

CIIII [=XCV] .

Ton hault sommet, ô Mont a Venus saincte.
De tant d’esclairs tant de fois coronné,
Monstre ma teste estre de sanglotz ceincte,
Qui mon plus hault tiennent environné.
Et ce Brouas te couvrant estonné,
De mes souspirs descouvre la bruyne,
Tes Aqueductz, deplorable ruyne,
Te font priser par l’injure du Temps,
Et mes yeulx secz de leau, qui me ruyne,
Me font du Peuple, & d’elle passe temps.

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