Poème 'Flirt' de Théodore de BANVILLE dans 'Sonnailles et Clochettes'

Flirt

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Sonnailles et Clochettes"

Paris, d’espérance allaité,
En attendant les myrtes
Et les rouges fleurs de l’été,
Il est bon que tu flirtes!

Flirte en disant des mots confus
Avec de molles poses,
Sous tes arbres verts et touffus,
Sous tes étoffes roses.

Le Flirt vient pour nous embraser,
Quoi qu’il dise ou qu’il fasse.
Annonçant le divin baiser,
Il en est la préface.

Feuille de vigne ou falbala,
Tout habit le seconde.
Même, il est aussi vieux que la
Création du monde.

Vénus, avec un doux sanglot
Jaillissant de la brume,
Flirtait, joyeuse, avec le flot
Qui la baignait d’écume.

Dans un tourbillon qui l’aida,
Blonde en sa gloire insigne,
On vit la tremblante Léda
Flirter avec le cygne.

Médée et Jason à leur tour,
Durs meurtriers d’Absyrte,
Ont connu le chasseur Amour
Dans le monde où l’on flirte,

Et ce vainqueur, l’Hercule grec,
L’empoignant par ses ailes,
Flirtait le même jour avec
Cinquante demoiselles.

Mais par la grâce atténué,
Délaissant les cavernes,
Le Flirt n’a pas diminué
Dans les âges modernes.

Don Juan, qui n’est pas loin de nous,
A travers les tourmentes
Flirtait vaillamment aux genoux
De mille et trois amantes.

Pensives, en léger manteau,
Ne voulant pas se taire,
Les pèlerines de Watteau
Vont flirter à Cythère.

Et dans les chambres à coucher,
Folle troupe ingénue,
Les Cidalises de Boucher
Flirtent, la cuisse nue.

En cet accord si bien réglé,
Dans le pays du Tendre,
On voit flirter avec Églé
Myrtil, comme Silvandre;

Et gardant le vieux rituel
Dans un but analogue,
Flirte, comme eux, l’homme actuel,
Douloureux psychologue.

Comme en Afrique, dans la mer,
Tremble et flotte une syrte,
Il fait son Hamlet, triste, amer,
Et cependant, il flirte.

Tous flirtent, jouant des pipeaux
Dont ils ne sont pas chiches,
Les princes, les marchands de peaux
De lapins, les gens riches.

Prodigue de ses jeux courtois,
Dans la nuit pleine d’ombres,
La chatte flirte sur les toits
Avec des matous sombres.

Parfois, des gais basochiens
Les foules accourues
Poursuivent de leurs cris des chiens
Qui flirtent dans les rues,

Et les cieux brillent, lumineux,
Sous les transparents voiles
Où l’Infini vertigineux
Flirte avec les Étoiles.

27 mai 1890.

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