Poème 'Frère et sœur jumeaux' de Tristan CORBIERE dans 'Les Amours jaunes'

Frère et sœur jumeaux

Tristan CORBIERE
Recueil : "Les Amours jaunes"

Ils étaient tous deux seuls, oubliés là par l’âge…
Ils promenaient toujours tous les deux, à longs pas,
Obliquant de travers, l’air piteux et sauvage…
Et deux pauvres regards qui ne regardaient pas.

Ils allaient devant eux essuyant les risées,
– Leur parapluie aussi, vert, avec un grand bec –
Serrés l’un contre l’autre et roides, sans pensées…
Eh bien, je les aimais – leur parapluie avec ! –

Ils avaient tous les deux servi dans les gendarmes :
La Sœur à la popotte, et l’Autre sous les armes ;
Ils gardaient l’uniforme encor – veuf de galon :
Elle avait la barbiche, et lui le pantalon.

Un Dimanche de Mai que tout avait une âme,
Depuis le champignon jusqu’au paradis bleu,
Je flânais aux bois, seul – à deux aussi : la femme
Que j’aimais comme l’air… m’en doutant assez peu.

– Soudain, au coin d’un champ, sous l’ombre verdoyante
Du parapluie éclos, nichés dans un fossé,
Mes Vieux Jumeaux, tous deux, à l’aube souriante,
Souriaient rayonnants… quand nous avons passé.

Contre un arbre, le vieux jouait de la musette,
Comme un sourd aveugle, et sa sœur dans un sillon,
Grelottant au soleil, écoutait un grillon
Et remerciait Dieu de son beau jour de fête.

– Avez-vous remarqué l’humaine créature
Qui végète loin du vulgaire intelligent,
Et dont l’âme d’instinct, au trait de la figure,
Se lit… – N’avez-vous pas aimé de chien couchant ?…

Ils avaient de cela – De retour dans l’enfance,
Tenant chaud l’un à l’autre, ils attendaient le jour
Ensemble pour la mort comme pour la naissance…
– Et je les regardais en pensant à l’amour…

Mais l’Amour que j’avais près de moi voulut rire ;
Et moi, pauvre honteux de mon émotion,
J’eus le cœur de crier au vieux duo : Tityre ! –
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Et j’ai fait ces vieux vers en expiation.

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Commentaires

  1. "Contre un arbre, le vieux jouait de la musette"

    C’est à peu près ce que fait le séduisant Tityre au début de l’oeuvre de Virgile.
    La comparaison est moqueuse, limite cruelle.

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