Poème 'Le Palais de la Mode' de Théodore de BANVILLE dans 'Le sang de la coupe'

Le Palais de la Mode

Théodore de BANVILLE
Recueil : "Le sang de la coupe"

Il est un clair palais fait de cristal de roche,
Dans un nid de rosiers, au bord d’un fleuve bleu.
Les vases, les émaux, les verres de Lahoche
Y brillent sous l’argent des chandeliers en feu.

Dans le nuage gris qui sort des cassolettes
Folâtrent des oiseaux peints de mille couleurs,
Et, veloutés et frais comme des violettes,
Les divans parfumés se cachent dans les fleurs.

Sur leurs pâles coussins plus doux qu’une caresse,
Repose un front couvert des ornements royaux.
C’est le front triste et pur d’une jeune Déesse
Qui sous ses petits pieds foule mille joyaux.

Elle brise en jouant, comme un oiseau son aile,
Tous les hochets d’hier, cent caprices dorés,
Et rêve, en chiffonnant la soie et la dentelle,
Aux caprices nouveaux qui seront adorés.

Cette reine sereine et folle, c’est la Mode.
Cent filles de seize ans, nymphes aux fiers trésors,
Le long de leurs genoux, pour éclairer mon ode,
De leurs cheveux épars laissent flotter les ors.

Leurs ongles sont armés de l’aiguille féerique,
Et dans la blonde en fleur cisèlent un bonnet,
Comme Pétrarque, fils de la Grèce lyrique,
Pour la chaude Italie ébauchait le sonnet.

Elle sort de leur main voluptueuse et douce,
La pourpre qu’eût aimée un prince lydien,
Et, nuage de feu, ce cachemire où Brousse
Nous vend toutes les fleurs du soleil indien.

Et lorsque de New-York, de Londres ou d’Asie,
Les reines des salons de tous les archipels
Disent : Quel nouveau charme et quelle fantaisie
Rajeunira demain nos attraits éternels ?

Mille petits Amours, cohorte aux ailes roses,
Du palais radieux s’envolent tout joufflus,
Et, traversant le ciel rempli d’apothéoses,
Portent à l’univers ces ordres absolus :

Demain, vous porterez ces étoffes de guêpe,
Satins d’or dont le rose illumine les bouts,
Et ces chapeaux tout clairs, faits de brume ou de crêpe
Où flotte la nuée en fleur des marabouts !

Avant que le raisin des Bacchantes mûrisse,
Pour refléter les feux et les lys de l’été,
Vous aurez ces bijoux en acier que Meurice
Fit clairs comme les flots du doux Guadalété !

Vous aurez ces peignoirs plus pâles que le marbre,
Ces bas tout découpés pour les yeux de l’Amour,
Et ces mouchoirs chinois faits d’une écorce d’arbre,
Et ces cols merveilleux bâtis de points à jour !

Et, près de ces bouquets si frêles du barège
Dont la grâce a tordu les faciles volants,
Voici les pompadours plus légers que la neige,
Fonds roses, fonds lilas, fond céleste et fonds blancs !

Voici les beaux jardins prédits par les sibylles,
Feuillaisons d’émeraude et bleuets de saphir,
Les rubis, les bouquets de lys à fleurs mobiles
Dont les gros diamants tressaillent au zéphyr.

Enfin, pour resplendir à vos tables insignes,
Nous avons les flambeaux gais comme des bijoux,
Et le linge pareil à la toison des cygnes,
Et les Eldorados entassés en surtouts !

Et le vermeil qui grimpe en mille architectures,
Soleils d’orfèvrerie et fils d’argent tramés,
Et tous ces paradis terrestres des sculptures
Arrachés par Klagmann aux métaux enflammés.

Nous avons fait fleurir l’ivoire des ombrelles
Et fixé parmi l’or les flammes de l’émail,
Et, pour mieux vous distraire, apaisé les querelles
De ces dragons chinois peints sur votre éventail.

Nous avons déchiré la poitrine de l’Onde
Pour y chercher la perle agréable à vos yeux,
Et, pour faire de vous les maîtresses du monde,
La Mode a fait éclore un monde merveilleux.

C’est pour qu’il brille mieux sur votre épaule pure,
Le myrte du désir, adorable et fatal,
Qu’elle chiffonne encor la soie et la guipure
Sur les coussins rosés du palais de cristal.

Pourtant, souvenez-vous, jeunes charmeuses d’âmes,
Que c’est le seul Amour dont le flambeau changeant,
En jouant autour d’eux, remplit de vagues flammes
Le satin, le velours et la toile d’argent.

Ah ! si Paris est roi parmi toutes les villes,
C’est que c’est le pays où l’Amour, d’un regard,
A fait naître, au milieu de cent guerres civiles,
Pour le chanter en vers son poëte Ronsard.

C’est que, lorsqu’on y sent passer comme une flèche,
Au milieu d’un éclat de parure et de voix,
Un essaim de péris au bord d’une calèche,
Parmi les feuillaisons, dans un nuage, au bois,

On peut dire à coup sûr, tout bas : Chacune d’elles,
En causant du dernier ballet ou des Bouffons,
Songe à quelque amitié belle entre les plus belles,
Et son cœur bat plus fort sous ces jolis chiffons.

C’est que là, quand la Valse autour d’une muraille
Fait bondir avec Strauss deux cents couples charmés,
Plus d’un regard sourit, plus d’une main tressaille
Dans l’humide prison de ses gants parfumés.

C’est que là, la Féerie amoureuse et le Rêve
Vivent parmi le luxe et les fleurs d’une cour
Et c’est là seulement que les filleules d’Ève
Ont lu jusqu’à la fin le roman de l’Amour.

Janvier 1850.

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