Poème 'Marche Funèbre (Chœur Des Derniers Hommes)' de Léon DIERX dans 'Les Lèvres closes'

Accueil > Les poètes > Poèmes et biographie de Léon DIERX > Marche Funèbre (Chœur Des Derniers Hommes)

Marche Funèbre (Chœur Des Derniers Hommes)

Léon DIERX
Recueil : "Les Lèvres closes"

Les temps sont arrivés, des vieilles prophéties !
Ils sont venus, les jours d’universelle horreur !
Les ombres du néant, d’heure en heure épaissies,
S’allongent sur nos fronts écrasés de terreur.

Nous les vivons, les jours d’agonie et de râle !
À l’orient, jamais plus de matins nouveaux !
Comme le bronze noir qui ferme les caveaux,
Le sol frappé résonne en rumeur sépulcrale.

Les ténèbres sur nous amassent leurs replis.
Là-haut, rien désormais qui regarde ou réponde.
Derniers fils de Caïn ! Les temps sont accomplis.
Pour toujours, cette fois, la mort est dans le monde.

Sous les astres éteints, sous le terne soleil,
La nuit funèbre étend ses suaires immenses.
Le sein froid de la terre a gardé les semences.
C’est à son tour d’entrer dans l’éternel sommeil.

Les derniers dieux sont morts, et morte est la prière.
Nous avons renié nos héros et leurs lois.
Nul espoir ne reluit devant nous ; et, derrière,
Ils ne renaîtront plus, les rêves d’autrefois !

Sur l’univers entier la mort ouvre son aile
Lugubre. Sous nos pas le sol dur sonne creux.
N’y cherchons plus le pain des jours aventureux.
Dans nos veines la sève est morte comme en elle.

Hommes ! Contemplons-nous dans toutes nos laideurs.
Ô rayons qui brilliez aux yeux clairs des ancêtres !
Nos yeux caves, chargés d’ennuis et de lourdeurs,
Se tournent hébétés des choses vers les êtres.

Spectre charmant, amour, qui consolais du ciel,
Amour, toi qu’ont chanté les aïeux incrédules,
Nul de nous ne t’a vu dans nos froids crépuscules.
Meurs, vieux spectre gonflé de mensonge et de fiel.

Notre oeil n’a plus de pleurs, plus de sang notre artère.
Nos rires ont bavé sur ton fatal flambeau.
Si jamais tu fis battre un cœur d’homme sur terre,
Amour, notre âme vide est ton affreux tombeau.

Le repentir est mort dans nos églises sourdes.
Après l’amour, est morte aussi la volupté.
Nul espoir devant nous ; au ciel, nulle clarté.
Rions affreusement dans les ténèbres lourdes.

L’ancien orgueil n’est plus, ô peuples endormis !
Qui flamboyait encor sur votre front naguère.
L’orgueil a terrassé les dieux, ses ennemis ;
Il est mort de sa gloire en regrettant la guerre.

Aux dernières clartés de nos feux, en troupeau,
Mêlés au vil bétail que courbe l’épouvante,
Attendons les yeux bas, n’ayant plus de vivante
En nous que la terreur qui court sous notre peau.

Quelqu’un sent-il vers l’or frémir ses doigts inertes,
Et le honteux prurit crisper encor sa chair ?
Non, tout désir s’éteint dans nos âmes désertes.
Plus rien qui dans nos cils allume un seul éclair.

Soif du sang fraternel, fièvre chaude du crime,
Vous attestiez la vie au moins par le combat.
Le mal qui vous leurrait de son sinistre appât,
Par deux vertus peut-être ennoblissait l’abîme.

Force et courage en nous sont morts avec le mal.
Les vices n’ont plus rien en nos cœurs qui fermente.
Sur l’esprit avili triomphe l’animal
Qui vers un imminent inconnu se lamente.

Qui d’entre nous jamais t’a pris pour guide,honneur ?
A senti ton levain soulever sa colère ?
Il gît sous nos fumiers, ton dogme tutélaire.
Tu dors depuis longtemps, fantôme raisonneur.

Sur les cercueils fermés plus un seul glas qui sonne.
Dans l’insondable oubli sombrent les noms fameux.
Qui de nous s’en souvient ? Qui les pleure ? Personne.
Ô gloire ! Nul de nous en toi n’a cru comme eux !

Soleil, qui mûrissais beauté, forme et jeunesse,
Faisais chanter les bois et rire les remords,
Nous n’avons, nous, connu, soleil des siècles morts !
Que ta lueur fumeuse et ta triste caresse.

Toute une mer d’effrois, femmes, remonte en vous,
Devant l’abjection cynique de nos faces.
Quand nous avons cherché vos corps, nous avons tous
Abhorré le désir dompteur des jeunes races.

La haine est morte. Seul a survécu l’ennui,
L’insurmontable ennui de nos hideurs jumelles,
Qui tarit pour toujours le lait dans vos mamelles,
Et nous roule au néant moins noir encor que lui.

Et toi, dont la beauté ravissait les aurores,
Fille de la lumière, amante des grandeurs,
Dont les hautes forêts vibraient, manteaux sonores,
Et parfumaient le ciel de leurs vertes splendeurs ;

Terre, toi-même au bout du destin qui nous lie,
Comme un crâne vidé, nue, horrible et sans voix,
Retourne à ton soleil ! Une seconde fois,
S’il brûle encor, renais à sa flamme pâlie !

Mais au globe épuisé heurtant ton globe impur,
Puisses-tu revomir nos os sans nombre, ô terre !
Dans le vide où ne germe aucun monde futur
Tous à jamais lancés par le même cratère !

Poème préféré des membres

Aucun membre n'a ajouté ce poème parmi ses favoris.

Commentaires

Aucun commentaire

Rédiger un commentaire

Léon DIERX

Portait de Léon DIERX

Léon Dierx, né à Saint-Denis de La Réunion le 31 mars 1838 et mort à Paris le 12 juin 1912, est un poète parnassien et peintre académique français. Léon Dierx naît dans la villa de Saint-Denis aujourd’hui appelée villa Déramond-Barre, que son grand-père a rachetée en 1830. Il y vit jusqu’en 1860, année de son... [Lire la suite]

© 2024 Un Jour Un Poème - Tous droits réservés
UnJourUnPoeme sur Facebook UnJourUnPoeme sur Twitter RSS