Poème 'Qui donc, qui donc…' de Aimé CÉSAIRE dans 'Cadastres'

Qui donc, qui donc…

Aimé CÉSAIRE
Recueil : "Cadastres"

Et si j’avais besoin de moi
d’un vrai sommeil
blond de même qu’un éveil
d’une ville s’évadant dans la jungle ou le sable
flairée nocturne flairée
d’un dieu hors rite ou de toi
d’un temps de mil et d’entreprise

et si j’avais besoin d’une île
Bornéo Sumatra, Maldives Laquedives
si j’avais besoin d’un Timor parfumé de santal
où de Moluques Ternate Tidor
oo de Cébèbes ou de Ceylan
qui dans la vaste nuit magicienne
aux dents d’un peigne triomphant
peignerait le flux et le reflux

et si j’avais besoin de soleil
ou de pluie ou de sang
cordial d’une minute d’un petit jour inventé
d’un continent inavoué
d’un puits d’un lézard d’un rêve
songe non rabougri

la mémoire poumonneuse et le coeur dans la main
et si j’avais besoin de vague ou de misaine
ou de la poigne phosphorescente
d’une cicatrice éternelle

qui donc
qui donc
O grande fille à trier sauvage condamnée
en grain mon ombre
des grains d’une clarté
et qui savamment entre loup et chien m’avance
attentif à bien brouiller les comptes.

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