Poème 'Un jeune qui s’en va' de Tristan CORBIERE dans 'Les Amours jaunes'

Un jeune qui s’en va

Tristan CORBIERE
Recueil : "Les Amours jaunes"

Morire.

Oh le printemps ! – Je voudrais paître !…
C’est drôle, est-ce pas : Les mourants
Font toujours ouvrir leur fenêtre,
Jaloux de leur part de printemps !

Oh le printemps ! Je veux écrire !
Donne-moi mon bout de crayon
– Mon bout de crayon, c’est ma lyre –
Et – là – je me sens un rayon.

Vite !… j’ai vu, dans mon délire,
Venir me manger dans la main
La Gloire qui voulait me lire !
– La gloire n’attend pas demain. –

Sur ton bras, soutiens ton poète,
Toi, sa Muse, quand il chantait,
Son Sourire quand il mourait,
Et sa Fête… quand c’était fête !

Sultane, apporte un peu ma pipe
Turque, incrustée en faux saphir,
Celle qui va bien à mon type
Et ris ! – C’est fini de mourir ;

Et viens sur mon lit de malade ;
Empêche la mort d’y toucher,
D’emporter cet enfant maussade
Qui ne veut pas s’aller coucher.

Ne pleure donc plus, – je suis bête –
Vois : mon drap n’est pas un linceul…
Je chantais cela pour moi seul…
Le vide chante dans ma tête…

Retourne contre la muraille.
– Là – l’esquisse – un portrait de toi –
Malgré lui mon oeil soûl travaille
Sur la toile… C’était de moi.

J’entends – bourdon de la fièvre –
Un chant de berceau me monter :
« J’entends le renard, le lièvre,
Le lièvre, le loup chanter. »

…Va ! nous aurons une chambrette
Bien fraîche, à papier bleu rayé ;
Avec un vrai bon lit honnête
À nous, à rideaux… et payé !

Et nous irons dans la prairie
Pêcher à la ligne tous deux,
Ou bien mourir pour la patrie !…
– Tu sais, je fais ce que tu veux.

… Et nous aurons des robes neuves,
Nous serons riches à bâiller
Quand j’aurai revu mes épreuves !
– Pour vivre, il faut bien travailler…

– Non ! mourir…
La vie était belle
Avec toi ! mais rien ne va plus…..
À moi le pompon d’immortelle
Des grands poètes que j’ai lus !

À moi, Myosotis ! Feuille morte
De Jeune malade à pas lent !
Souvenir de soi… qu’on emporte
En croyant le laisser – souvent !

– Décès : Rolla : – l’Académie –
Murger, Baudelaire : – hôpital, –
Lamartine : – en perdant la vie
De sa fille, en strophes pas mal…

Doux bedeau, pleureuse en lévite,
Harmonieux tronc des moissonnés
Inventeur de la larme écrite,
Lacrymatoire d’abonnés !…

Moreau – j’oubliais – Hégésippe,
Créateur de l’art-hôpital…
Depuis, j’ai la phtisie en grippe ;
Ce n’est plus même original.

– Escousse encor : mort en extase
De lui ; mort phtisique d’orgueil.
– Gilbert : phtisie et paraphrase
Rentrée, en se pleurant à l’oeil.

– Un autre incompris : Lacenaire,
Faisant des vers en amateur
Dans le goût anti-poitrinaire,
Avec Sanson pour éditeur.

– Lord Byron, gentleman-vampire,
Hystérique du ténébreux ;
Anglais sec, cassé par son rire,
Son noble rire de lépreux.

– Hugo : l’Homme apocalyptique,
L’Homme-Ceci-tûra-cela,
Meurt, gardenational épique ;
Il n’en reste qu’un – celui-là ! –

… Puis un tas d’amants de la lune,
Guère plus morts qu’ils n’ont vécu,
Et changeant de fosse commune
Sans un discours, sans un écu !

J’en ai lus mourir !… Et ce cygne
Sous le couteau du cuisinier :
– Chénier – … Je me sens – mauvais signe ! –
De la jalousie. – Ô métier !

Métier ! Métier de mourir…
Assez, j’ai fini mon étude.
Métier : se rimer finir !…
C’est une affaire d’habitude.

Mais non, la poésie est : vivre,
Paresser encore, et souffrir
Pour toi, maîtresse ! et pour mon livre ;
Il est là qui dort
– Non : mourir !

Sentir sur ma lèvre appauvrie
Ton dernier baiser se gercer,
La mort dans tes bras me bercer…
Me déshabiller de la vie !…

Charenton. – Avril.

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