Au lieu de songer à se créer une position
Mon cher fils,
Retenez bien ce que je vous dis :
« L’homme est un animal qui se fait des outils (1).»
« Le temps, c’est de l’argent. » « Moi, je n’aime pas Rome,
« Ça sent la mort (2).» On n’est pas ici-bas, jeune homme,
Pour « nager dans le bleu », pour se mettre au balcon,
Cracher sur un certain pavé, suivre un flocon
De nuage qui passe et vivre à l’aventure.
« Un père est un ami donné par la nature (3)»,
Et vous êtes dans l’âge où l’on devrait chercher
Une position,
Ton père,
- Oh! chevaucher
Sur le vent, à travers les steppes infinies,
Où solennellement, inondés d’harmonies,
Voguent mondes, soleils, atomes d’un instant,
Dont la pensée écrase, et qui marquent pourtant
Une seconde !peine !l’horloge éternelle,
Qui regarde en pitié la ronde universelle!
Chevaucher! chevaucher! d’un vol si foudroyant
Que le vent de ma course, au loin la balayant,
Éteigne la poussière ardente des étoiles!
Que j’entende siffler mes os vides de moelles!
Et, roulant éperdu par ces champs de la mort,
Où les soleils éteints roulent fumants encor,
Que je brise l’écorce où mon cerveau se fige
Et que je montre alors l’âme ivre de vertige!
Sous le mystique aspect d’une langue de feu,
Semblable à ce fripon de feu-follet tout bleu
Qui vient valser, la nuit, sur la tombe d’ivoire
Où, depuis quinze jours, – si j’ai bonne mémoire, -
Pourrit la bien-aimée aux longues tresses d’or,
Pauvre Lotte! Ah! misère! – Ou bien pareille encor
À la belle grenade en drap c9uleur garance
Des collets d’artilleurs au doux pays de France,
Des ailes!
Vains espoirs! Sur la terre d’exil
II faut ramper, ainsi que la limace au fil
D’argent! Ramper! toujours ramper! Voir des notaires
Et des grammairiens, Coppée et des rosières!
- Ah! pour me consoler, Sarah, toi qui jamais
N’as parlé ni souri, toi dont les yeux de jais
Semblent toujours chercher au delà de l’espace,
Apporte, apporte une outre et remplis-Ia, de grâce,
De ce vin de palmier capiteux et vermeil
Qui jaillit de ton sein au coucher du soleil;
Car je sens grelotter mon cœur contre mes côtes
Et le spleen m’envahir, et le froid, tristes hôtes!1. Franklin.
2. ÉmiÌe de Girardin.
3. Démétrius, tragédie du sieur Baudouin.
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Jules Laforgue, né à Montevideo le 16 août 1860 et mort à Paris le 20 août 1887, est un poète du mouvement décadent français. Né dans une famille qui avait émigré en espérant faire fortune, il est le deuxième de onze enfants. À l’âge de dix ans, il est envoyé en France, dans la ville de Tarbes d’où est originaire... [Lire la suite]
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