Poème 'Corinne' de Jules LEFÈVRE-DEUMIER dans 'Le Parricide'

Corinne

Jules LEFÈVRE-DEUMIER
Recueil : "Le Parricide"

Élégie dans le goût antique

Virginitas, Virginitas, quo abis, me relicta.
SAPHO

« Pourquoi ne pas m’entendre, ô ma blanche maîtresse ?
« Mes mains, si vous venez, mes mains vous offriront
« Les plus belles des fleurs, dont s’émaille la Grèce :
« La Grèce les destine à parfumer ton front.
« Viens, pour toi, ce matin, dans l’humide verdure,
« D’un bouquet varié j’ai cueilli la parure ;
« À l’iris orgueilleux de sa brune couleur,
« J’ai mêlé du jasmin l’odorante pâleur,
« Et placé près du lis l’hyacinthe bleuâtre
« Qui doit, après l’hymen, remplacer sous tes yeux
« Les roses de ce teint nuancé par l’albâtre.
« J’y joindrai des pavots, emblème ingénieux
« Du sommeil où l’amour laisse languir ton âme,
« Et de celui qui vient comme une molle flamme,
« Embraser la beauté de l’espoir d’un époux.
« Livre-moi ta ceinture, ô ma blanche Corinne !
« Entr’ouvre à mes baisers ta bouche purpurine,
« Et mes nouveaux accens te paraîtront plus doux. »
Calaïs était beau, ses chants pleins de mollesse,
Et Corinne disait : — « Moi j’ai peur des amours ;
« À la sœur d’Apollon j’ai consacré mes jours :
« Mais je serai la tienne, et j’en ai la tendresse.
« Ne me fuis pas pourtant : Je suis, mon Calaïs,
« Moins que Diane encor sévère pour moi-même,
« Car si je n’aime pas, je veux bien que l’on m’aime. »
Et Calaïs disait : — « Eh ! c’est toi qui me fuis !
« De ses mépris pour nous une vierge s’afflige,
« Quand la marque des ans s’attache à sa beauté.
« Sitôt que d’une fleur pendante sur sa tige
« Un orage a flétri le tendre velouté,
« Des baisers du zéphyr le parfum l’abandonne ;
« La vierge aux cheveux blancs se verra dédaigner,
« Comme on délaisse un arbre oublié de Pomone,
« Une source où Vénus ne va plus se baigner. »
Corinne alors feignait de ne le pas entendre,
Et sa mère lui dit : « Ma Corinne, il est temps :
« Aux chants de Calaïs il faut enfin te rendre.
« Vois cet arbre fécond qui connaît vingt printemps :
« Son premier jour remonte au jour de ta naissance ;
« Sais-tu ce qu’il veut dire avec son fruit doré ?
« Qu’à ton âge, ma fille, on n’est plus dans l’enfance ;
« Que ton sein n’est pas fait pour rester ignoré,
« Et, que te dirigeant vers une autre chaumière,
« Du toit de tes parens il faut quitter le seuil. »
— Corinne alors tout bas, et séchant sa paupière :
« Faut-il de mes beaux jours, que je porte le deuil ?
« Pourquoi me retirer la couche virginale,
« Où toujours, près de vous, j’ai trouvé le sommeil ?
« Si j’aborde jamais la couche nuptiale,
« On ne vous rendra pas mes baisers du réveil.
« Maintenant que, le soir, ta paupière incertaine
« Sur tes fuseaux trop lents laisse embrouiller la laine,
« Qui des brebis pour toi filera la toison ?
« Quand du fertile été finira la saison,
« Quelle main désormais, au foyer domestique,
« Rangera de vos fruits la richesse rustique ;
« Dans l’olivier creusé qui leur sert de réduit, :
« Quelle main remettra ces toiles que la nuit,
« Pour blanchir de leurs fils la trame grise encore,
« J’expose à la fraîcheur qui précède l’aurore ?
« Penserez-vous à moi quand je serai bien loin ?
« Vous oublierez les fleurs, dont j’aimais la culture :
« L’onde où je me mirais, cessera d’être pure ;
« Des oiseaux délaissés on né prendra plus soin.
« Si vous soignez encor l’arbre de ma naissance,
« Vous ne me verrez plus folâtrer près de vous ;
« Et quand de votre enfant vous pleurerez l’absence,
« Je sourirai peut-être aux désirs d’un époux.
« Pourquoi me retirer la couche virginale,
« Où toujours, près de vous, j’ai trouvé le sommeil ?
« Si j’aborde jamais la couche nuptiale,
« Vous vous rappellerez mes baisers du réveil. »
Corinne par hasard (c’était presqu’un augure )
Ne sachant de ses mains où porter l’embarras,
Déliait en parlant les nœuds de sa ceinture ;
Et sa mère attentive en souriait tout bas.
Du chant de Calaïs, l’amour, à son oreille,
Porta le lendemain la plaintive douceur ;
Elle se souvenait des discours de la veille,
Et semblait regretter de n’être que sa sœur.
Sa mère eut pitié d’elle, et bientôt de Lucine
Un prêtre, dans la main du pasteur empressé,
Mit la tremblante main, que retirait Corinne
Au bruit des longs refrains, le banquet est dressé.
Déjà le soir s’avance, et la molle cythare
Appelle par ses chants la nuit qui se prépare.
La coupe se remplit et circule à plein bord,
Sur l’autel du foyer la Clepsydre s’endort ;
C’est l’heure : loin des yeux de la foule profane,
Confuse du plaisir qu’elle ne connaît pas,
Corinne, vierge encor, précipite ses pas,
Et regarde en chemin le flambeau de Diane.
De la flûte aux sept voix les sons légers et doux
Accompagnent de loin la marche des époux ;
Tous deux ont disparu sous le toit d’hyménée.
La lampe ralentit son jour mystérieux,
Et sous un double voile encor silencieux,
La couche au même instant se ferme environnée.
A travers les lambris personne n’écouta
Mourir dans les refus la pudeur sans défense ;
L’écho discret des nuits jamais ne répéta
Les cris voluptueux du plaisir qui s’avance ;
Et le matin muet ne m’a rien raconté.
Mais le temps, qui dit tout, m’a depuis rapporté,
Que la jeune Corinne, à Diane asservie,
Et ne connaissant pas le sommeil du pasteur
Que venait visiter la déesse ravie,
Regrettait ce trésor, témoin de la pudeur,
Que l’on garde avec peine, et qu’on perd sans colère.
« Pour oublier ta perte, hélas ! que faut-il faire,
Disait-elle souvent à sa virginité ?
« Peut-être contre moi le Ciel est irrité ;
« Ne pourrait-il, hélas ! par la voix d’un présage,
« Aux plaisirs de l’hymen enhardir mon courage !
« Dans les bras d’un époux j’ai déposé ma foi,
« Et l’âme d’une vierge a fui bien loin de moi ;
« Pour oublier sa perte, hélas ! que faut-il faire ?»
Ainsi disait l’épouse un moment solitaire.
De ce présage enfin qu’elle appelait encor,
Elle apprit où fuyait ce pudique trésor
Dont elle avait pleuré l’absence passagère ;
Rien n’est plus virginal que le cœur d’une mère.

Rubelles, 1816.

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