Poème 'Elsa-Valse' de Louis ARAGON dans 'Les Yeux d'Elsa'

Elsa-Valse

Louis ARAGON
Recueil : "Les Yeux d'Elsa"

Où t’en vas-tu pensée où t’en vas-tu rebelle
Le Sphinx reste à genoux dans les sables brûlants
La victoire immobile en est-elle moins belle
Dans la pierre qui l’encorbelle
Faute de s’envoler de l’antique chaland

Qu’elle valse inconnue entraînante et magique
M’emporte malgré moi comme une folle idée
Je sens fuir sous mes pieds cette époque tragique
Elsa quelle est cette musique
Ce n’est plus moi qui parle et mes pas sont guidés

Cette valse est un vin qui ressemble au Saumur
Cette valse est le vin que j’ai bu dans tes bras
Tes cheveux en sont l’or et mes vers s’en émurent
Valsons-la comme on saute un mur
Ton nom s’y murmure Elsa valse et valsera

La jeunesse y pétille où nos jours étant courts
A Montmartre on allait oublier qu’on pleura
Notre nuit a perdu ce secret du faux-jour
Mais a-t-elle oublié l’amour
L’amour est si lourd Elsa valse et valsera

Puis la vie a tourné sur ses talons de songes
Que d’amis j’ai perdus L’un tirait les tarots
L’autre en dormant parlait de l’amour des éponges
Drôles de gens que l’ombre ronge
Fanfarons de l’erreur qui jouaient aux héros

Souviens-toi des chansons que chantait pour nous plaire
La négresse au teint clair ce minuit qu’on poudra
Avant l’aube en rentrant on prenait un peu l’air
Que de nuits ainsi s’envolèrent
O temps sans colère Elsa valse et valsera

Achetée à crédit la machine à écrire
Nous mettait tous les mois dans un bel embarras
On n’avait pas le sou Qu’il est cher de chérir
Mes soucis étaient tes sourires
Car je pouvais dire Elsa valse et valsera

Puis la vie a tourné sur ses talons de verre
Le tzigane du sort changea de violon
Nous avons voyagé par un monde sévère
Qui roulait la tête à l’envers
Des sanglots étouffés mêlés à ses flonflons

Tu faisais des bijoux pour la ville et le soir
Tout tournait en colliers dans tes mains d’Opéra
Des morceaux de chiffons des morceaux de miroir
Des colliers beaux comme la gloire
Beaux à n’y pas croire Elsa valse et valsera

J’allais vendre aux marchands de New-York et d’ailleurs
De Berlin de Rio de Milan d’Ankara
Ces joyaux faits de rien sous tes doigts orpailleurs
Ces cailloux qui semblaient des fleurs
Portant tes couleurs Elsa valse et valsera

Puis la vie a tourné sur ses talons de rage
Des éclairs traversaient les tubes de néon
On entendait hennir des chevaux de nuages
Traînant des voitures d’orage
Le jazz contre un tambour troque l’accordéon

Ce qui suit pourrait mal se danser quand César
A pour vous dévorer les chacals qu’il voudra
Mais quel air tourbillonne au tombeau de Lazare
Entends-tu son rythme bizarre
Au bal des hasards Elsa valse et valsera

Nous avons traversé le cyclone et le sort
L’enfer est sur la terre et le ciel y cherra
Mais voici qu’à l’horreur il succède une aurore
Et que cède à l’amour la mort
Elsa valse encore Elsa valse et valsera

Et la vie a tourné sur ses talons de paille
Avez-vous vu ses yeux Ce sont des yeux d’enfant
La terre accouchera d’un soleil sans batailles
Il faut que la guerre s’en aille
Mais seulement que l’homme en sorte triomphant

Mon amour n’a qu’un nom c’est la jeune espérance
J’en retrouve toujours la neuve symphonie
Et vous qui l’entendez du fond de la souffrance
Levez les yeux beaux fils de France
Mon amour n’a qu’un nom Mon cantique est fini

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Commentaires

  1. Et la vie a tourné sur ses talons de plumes
    Avez-vous vu comment a mûri ce poète
    Un aimable vieillard au regard plein de brume
    Il mange sa soupe aux légumes
    Cet aimable vieillard aux allures proprettes

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