Poème 'Épitaphe' de Tristan CORBIERE dans 'Les Amours jaunes'

Épitaphe

Tristan CORBIERE
Recueil : "Les Amours jaunes"

Sauf les amoureux commençons ou finis
qui veulent commencer par la fin il y
a tant de choses qui finissent par le
commencement que le commencement
commence à finir par être la fin la fin
en sera que les amoureux et autres
finiront par commencer à recommencer par
ce commencement qui aura fini par n’être
que la fin retournée ce qui commencera
par être égal à l’éternité qui n’a ni
fin ni commencement et finira par être
aussi finalement égal à la rotation de
la terre où l’on aura fini par ne
distinguer plus où commence la fin d’où
finit le commencement ce qui est toute
fin de tout commencement égale à tout
commencement de toute fin ce qui est le
commencement final de l’infini défini
par l’indéfini—Égale une épitaphe égale
une préface et réciproquement

(SAGESSE DES NATIONS)

Il se tua d’ardeur, ou mourut de paresse.
S’il vit, c’est par oubli ; voici ce qu’il se laisse :

— Son seul regret fut de n’être pas sa maîtresse. —

Il ne naquit par aucun bout,
Fut toujours poussé vent-de-bout,
Et fut un arlequin-ragoût,
Mélange adultère de tout.

Du je-ne-sais-quoi. — Mais ne sachant où ;
De l’or, — mais avec pas le sou ;
Des nerfs, — sans nerf. Vigueur sans force ;
De l’élan, — avec une entorse ;
De l’âme, — et pas de violon ;
De l’amour, — mais pire étalon.
— Trop de noms pour avoir un nom. —

Coureur d’idéal, — sans idée ;
Rime riche, — et jamais rimée ;
Sans avoir été, — revenu ;
Se retrouvant partout perdu.

Poète, en dépit de ses vers ;
Artiste sans art, — à l’envers,
Philosophe, — à tort à travers.

Un drôle sérieux, — pas drôle.
Acteur, il ne sut pas son rôle ;

Peintre : il jouait de la musette ;
Et musicien : de la palette.

Une tête ! — mais pas de tête ;
Trop fou pour savoir être bête ;
Prenant pour un trait le mot très.
— Ses vers faux furent ses seuls vrais.

Oiseau rare — et de pacotille ;
Très mâle … et quelquefois très fille ;
Capable de tout, — bon à rien ;
Gâchant bien le mal, mal le bien.
Prodigue comme était l’enfant
Du Testament, — sans testament.
Brave, et souvent, par peur du plat,
Mettant ses deux pieds dans le plat.

Coloriste enragé, — mais blême ;
Incompris… — surtout de lui-même ;
Il pleura, chanta juste faux ;
— Et fut un défaut sans défauts.

Ne fut quelqu’un, ni quelque chose
Son naturel était la pose.

Pas poseur, — posant pour l’unique ;
Trop naïf, étant trop cynique ;
Ne croyant à rien, croyant tout.
— Son goût était dans le dégoût.

Trop crû, — parce qu’il fut trop cuit,
Ressemblant à rien moins qu’à lui,
Il s’amusa de son ennui,
Jusqu’à s’en réveiller la nuit.
Flâneur au large, — à la dérive,
Épave qui jamais n’arrive….

Trop Soi pour se pouvoir souffrir,
L’esprit à sec et la tête ivre,
Fini, mais ne sachant finir,
Il mourut en s’attendant vivre
Et vécut, s’attendant mourir.

Ci-gît, — cœur sans cœur, mal planté,
Trop réussi — comme raté.

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Commentaires

  1. J'offre ce poème à mon ami Michel, alias Socrate, qui nous a quittés et m'avait fait découvrir "Les Amours jaunes" de Tristan Corbière. Je les relis à chaque fois en pensant à lui.

  2. Poème poignant et tragique qui me bouleverse!

  3. A lire "une âme et pas de violon" d'Alexandre Arnoux pour un savoir plus sur Tristan Corbière.

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